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Grands-Maîtres du Temple, de France de l'Etranger et des provinces

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    Chronologie Historique des Grands-Maitres du Temple

    L'an 1118 est la véritable époque à laquelle on doit rapporter l'institution de la chevalerie du Temple. La conservation des lieux saints dont les Francs s'étaient rendus maîtres, la nécessité de défendre contre les Turcs ce grand nombre de pèlerins qui abordaient alors de toute part en Syrie, sont les motifs qui donnèrent lieu à cet établissement. Quelques gentilshommes, du nombre de ceux qui avaient suivi Godefroi de Bouillon, en furent les auteurs et les premiers membres.

    Ils étaient au nombre de neuf, dont les principaux furent Hugues des Payens et Geoffroi de Saint-Omer. Aux trois voeux de religion, qu'ils prononcèrent entre les mains du patriarche de Jérusalem, ils en ajoutèrent un quatrième qui les engageait à porter les armes contre les infidèles. Cet ordre est donc militaire dans son origine, à la différence des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, qui ne le devinrent, suivant l'opinion commune, que par accident.

    La croix des Templiers était d'étoffe rouge comme celle des croisés français. Leur étendard était parti de noir et de blanc, et s'appelait le Beaucens ou Beaucéant.

    Nous n'avons jusqu'ici aucune liste exacte des grands-maîtres du Temple. Celle que du Cange en a donnée dans son glossaire, est copiée d'après le président de Boissieu. L'examen, que nous en avons fait, nous a convaincus que, de trente-deux chefs consécutifs qu'il donne à cette milice, on doit en retrancher dix, dont il n'est pas possible de prouver le magistère. D'autres listes, qui nous ont passé sous les yeux quoique plus anciennes, ne nous ont point paru mériter plus de croyance. Elles ne s'accordent ni entre elles, ni avec les écrivains et les monuments authentiques du temps. Dans toutes on a pris des supérieurs généraux de provinces pour des grands-maîtres, parce que les uns et les autres étaient qualifiés également maîtres du Temple. Nous, avons évité cette méprise avec soin. Ainsi nous espérons que les lecteurs judicieux et éclairés seront satisfaits de la liste que nous allons leur présenter.

    I. Hugues de Payens

    1118. Hugues de Payens (de Paganis), et non de Pains, comme porte l'ancienne édition, ainsi nommé de la terre des Payens, en Champagne, située entre Méry-sur-Seine et Troyes, chevalier issu de la maison des comtes de Champagne, étant en Palestine, forma, avec d'autres gentilshommes, le dessein d'établir un nouvel ordre de religieux militaires, consacré à la défense de la Terre-Sainte. Le patriarche Gormond, en recevant leurs voeux, les obligera spécialement à pourvoir a la sûreté des chemins, et à mettre les pèlerins à l'abri des insultes des brigands. Intéressé à favoriser cette société naissante, Le roi Baudouin II leur accorda pour un temps le quartier méridional de son palais, d'où Ils furent appelés Frères de la Milice du Temple, les Chevaliers du Temple, les Templiers.

    L'an 1127, Hugues passe en Occident, pour obtenir du saint siège la confirmation de son institut. Il est renvoyé au concile de Troyes, qui s'ouvrit le 13 janvier de l'année suivante. Hugues s'y présente avec cinq de ses chevaliers. Le concile approuve leur résolution; ordonne que les Templiers porteront l'habit blanc, et charge un nommé Jean de Saint-Michel, au refus de saint Bernard, de leur dresser une règle par écrit. Elle à été imprimée plusieurs fois; et en dernier lieu, l'an 1703, par Nicolas Gurtler dans son Histoire des Templiers.

    Hugues parcourt ensuite une partie de la France, et de là passe en Angleterre, en Espagne et en Italie. Outre les aumônes abondantes qu'il ramassa dans ces contrées pour les besoins de la Terre-Sainte, il y fit un grand nombre de prosélytes, qu'il amena avec lui, pour les engager dans sa nouvelle milice: elle ne fut pas longtemps concentrée dans la Palestine; En 1129, l'ordre avait déjà des établissements dans les Pays-Bas.

    En 1131, Alfonse, roi d'Aragon et de Navarre, institua, par un testament authentique, les chevaliers du Temple et ceux de Saint-Jean de Jérusalem, héritiers da ses états. Ce testament, quoique confirmé par ce prince l'an 1133, peu de temps avant sa mort, n'eut cependant point lieu; mais on promit aux chevaliers de respecter les intentions du testateur autant que les circonstances et la raison le permettraient.

    L'an 1135, au plus tard, saint Bernard adressa aux Templiers cette belle exhortation, que le temps nous a conservée: elle contient des avis très-salutaires et des règles admirables de conduite. L'an 1136 est l'époque, suivant Dom Vaissète, de la plus ancienne maison de l'ordre en Languedoc. Elle fut fondée dans un lieu nommé la Nogarède, et depuis Villedieu, au comté de Foix, par le comte Roger III. Hugues des Payens mourut cette même année, regretté de tout ce qu'il y avait de chrétiens zélés en Palestine. Il avait été marié, et il eut un fils, nommé Thibaut, qui fut abbé de Sainte-Colombe de Sens, et mourut, l'an 1147, en allant avec le roi Louis le Jeune à la Terre-Sainte.

    Dans les commencements de leur institut, les Chevaliers da Temple étaient si pauvres qu'ils n'avaient qu'un cheval pour deux. Ce fut pour perpétuer la mémoire de cette pauvreté qu'ils firent mettre sur le sceau de l'ordre, un cheval monté par deux cavaliers (Mathieu Paris.)

    II. Robert le Bourguignon

    1136. Robert de Craon, fils de Renaud, sire de Craon, et d'Ennagen de Vitré, surnommé le Bourguignon, comme son bisaïeul paternel Robert, troisième fils de Renaud I, comte de Nevers, et mari d'Avoise, dame de Sablé, fut le successeur de Hugues dans le magistère du Temple. Il était le cadet de trois frères, et avait été s'établir en Aquitaine, où Vulgrin II, comte d'Angoulême, l'avait fiancé avec la fille, et l'héritière de Jourdain Eskivat, seigneur de Confolens et de Chabannes. Mais Aymar, seigneur de la Rochefoucauld, réclamant cet héritage, Guillaume IX, duc d'Aquitaine, l'en mit en possession par la voie des armes.

    Le duc étant mort, l'an 1126, Vulgrin et Robert reprirent les deux terres sur Aymar. Cependant le mariage de Robert n'était pas encore accompli. Quelque temps après, il céda sa fiancée avec sa dot à Guillaume de Mastas, et passa à la Terre-Sainte, où il entra dans l'ordre des Templiers (Ménage, Hist. de Sablé, pp. 32, 204 et 418).
    La valeur et la piété du chevalier Robert, firent toute sa recommandation auprès de ceux qui l'élevèrent, en 1136, à la première dignité de l'ordre. Il justifia ce choix par sa bonne conduite. A peine est-il élu, qu'il tombe, à la tête des chevaliers, sur Asouard, gouverneur d'Alep, qui dévastait la Palestine, le bat et le met en fuite. Asouard revient à la charge, tandis que les vainqueurs s'amusent au pillage, et taille en pièces un grand nombre de chevaliers ; mais il n'est pas vrai que Robert périt à cette journée, comme le prétend l'historien de l'église de Paris.

    L'an 1139, en Portugal, les Templiers, réunis à l'armée de France, montée sur soixante-dix vaisseaux, mettent Je siège, devant Lisbonne. Ils échouent dans cette entreprise, et sont mis en déroute. Robert n'était point de cette expédition, étant alors en Palestine, où les infidèles lui donnaient trop d'exercice pour lui permettre de s'absenter.

    L'an 1140, il se trouva au combat de Técué, ou ils défirent les Chrétiens, et dans lequel Eudes de Montfaucon, l'un des plus vaillants chevaliers du Temple, perdit la vie.

    L'an 1141, de concert avec le grand-maître de l'Hôpital, Robert députe à Raimond, prince d'Aragon, et à Garcie-Ramirez, roi de Navarre, pour revendiquer ces deux royaumes, et vertu du testament d'Alfonse I. Le Navarrois, ne veut entendre aucun un accommodement. Raimond consent qu'au cas qu'il meure sans enfants, l'Aragon passe sous la domination des chevaliers, et que cependant il sera accordé aux deux ordres plusieurs fonds dans ses états. Ce traité, signé par les parties, fut ratifié à Jérusalem par le patriarche et les chevaliers. Le roi Baudouin III, lorsqu'il fit la conquête de Gaza, trouva cette place ruinée et presque entièrement déserte. L'ayant rebâtie, il en confia la garde, l'an 1145, aux Templiers (Blond., Decad. II, L. v.).

    L'an 1146 commença en Espagne cette fameuse expédition contre les Maures, qui dura l'espace de dix ans. Les chevaliers du Temple, ainsi que ceux de l'Hôpital, y eurent beaucoup de part. L'année suivante, les premiers s'assemblent en chapitre à Paris, le 22 avril, au nombre de cent-trente, le pape Eugène III, à leur tête, pour les affaires de la Terre-Sainte. Le roi Louis le Jeune honora aussi cette assemblée de sa présence, avec plusieurs prélats et seigneurs ; c'est tout ce qu'on en sait (Mortasi. Angl., T. II, p. 524).

    Robert était mort quelque temps avant qu'elle se tînt. Guillaume de Tyr atteste qu'il ne fut pas moins illustre par la pureté de ses moeurs et sa bravoure, que par l'éclat de sa naissance. Mais il se trompe, ainsi que l'auteur des Gestes de Louis le Jeune, en prolongeant son Magistère jusqu'à la grande assemblée que l'empereur Conrad tint à Acre l'an 1148, à laquelle ils disent l'un et l'autre que te grand-maître Robert assista. On verra dans un moment la preuve du contraire.

    Ce ne fut que sous le magistère de Robert et le pontificat d'Eugène III, suivant un manuscrit de la reine de Suède, que les Templiers commencèrent à porter une croix d'étoffe rouge sur la poitrine.

    III. Evrard des Barres

    1147. Evrard des Barre fut élu, par le chapitre des Templiers, pour succéder à Robert le Bourguignon. Il était français et précepteur, ou maître particulier de son ordre en France dès l'an 1145. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, lui écrivit pour le féliciter sur sa promotion à la dignité de grand-maître. (L. VI, ep. 26).

    La même année qu'il fut élu, il vint à Constantinople au devant de l'empereur Conrad et du roi Louis le Jeune, Odon de Deuil, qui se trouvait sur les lieux à la suite du monarque français, et qui écrivit cette même année la relation du Voyage de ce prince, lui donne expressément le titre de maître du Temple: Magister Templi Domnus Evrardus de Barris (L. III, p. 35).

    Evrard ayant quitté le monarque français pour s'en retourner, vint le rejoindre l'année suivante à la tête des siens en Pamphylie. Louis avait besoin de ce renfort. Son armée; battue au mois de janvier, et continuellement harcelée dans un labyrinthe de défilés qu'elle ne connaissait pas, courait risque d'être anéantie par les Turcs. Evrard la tire de ces dangers, et lui sert de guide pour continuer sa route (ibid., p. 67).

    Durant le séjour que Louis fit en Syrie, les Templiers lui rendirent d'autres services importants. Les lettres qu'il écrivit de ce pays à Suger, son ministre, en font foi. Dans, une de celles-ci (c'est la cinquantième dans du Chesne) Evrard est qualifié maître du Temple ; nouvelle preuve de la méprise de ceux qui prolongent le magistère de Robert jusqu'en 1149.

    Evrard, cette année, accompagna le roi de France a son retour. Etant venu à Clairvaux, il y embrassa la vie monastique, envoya son abdication en Palestine, et persévéra dans sa nouvelle vacation malgré les instances que lui firent les Templiers pour l'engager à revenir.

    L'abbaye de Clairvaux fut témoin pendant 24 ans de sa vie exemplaire, qu'il termina par une mort non moins édifiante vers l'an 1174. Le ménologe, de Cîteaux fait mention de lui au 25 novembre.

    IV. Bernard de Tramelai

    1149. Bernard de Tramelai, ou Dramelai, qu'on écrit aussi Dramelet, château de la baronnie d'Arinthod, au comté de Bourgogne, dans la partie qui est aujourd'hui du diocèse de Saint Claude, fils de Humbert, sire de Tramelai, nommé dans un acte de l'an 1131, passé avec Guéric de Coligni (Hist. de Coligny, pr. p. 37), fut substitué, vers la fin de l'an 1149, au grand-maître des Barres. Son premier soin fut de rebâtir et fortifier la ville de Gaza, d'où les Templiers firent des courses sur les Sarrasins, et incommodèrent beaucoup, entre autres, la ville d'Ascalon (Nangis).

    L'an 1150, il marche à la tête de ses chevaliers, sous les ordres du roi Baudouin, pour s'opposer aux progrès de Noradin. S'étant présentés devant le château de Harenc, ils sont obligés de se retirer après quelques jours d'attaque.

    L'an 1152, les chevaliers des deux ordres, secondés par les habitants de Jérusalem, repoussent les Musulmans qui s'étaient avancés jusqu'au mont des Olives.

    L'an 1153, ils se rendent au siège d'Ascalon entrepris par Baudouin III, roi de Jérusalem. La place était serrée depuis 6 mois du côté de la terre, lorsque la ville fut ravitaillée par mer et reçut un secours d'Egyptiens, aussi nombreux que l'armée qui l'assiégeait. Le roi ne se rebuta point. Profitant de l'avis des Templiers, il fit approcher de la place une grosse tour de bois ; mais pendant la suit du 14 août les assiégés jetèrent dans l'espace qui la séparait des murs une grande quantité de matières combustibles qu'ils allumèrent. Heureusement le vent poussa les flammes contre les mûrs qu'elles calcinèrent et firent tomber. Le grand-maître averti de la brèche que cette chute avait faite, y avec 40 de ses chevaliers, entre dans la place, met en fuite, par sa présence inattendue, la garnison et les habitants qui se hâtent de gagner la mer. Mais bientôt, s'étant aperçus que cette poignée d'hommes n'était point suivie du gros de l'armée, ils reviennent sur eux, les chargent et les massacrent tous. Puis ayant réparé la brèche en diligence, ils leur coupent à chacun la tête pour l'envoyer au soudan, et suspendent leurs cadavres aux murs, à la vue des assiégeants.

    Guillaume de Tyr (L. XVII, R. 21-27) impute ce funeste succès à l'avarice du grand-maître qui, voulant que son ordre seul, dit-il, recueillît les dépouilles de cette opulente ville, se tint sur la brèche pour empêcher le reste de l'armée d'entrer, tandis que sa troupe s'occupait à piller. Mais Guillaume de Tyr, outre qu'il était fort mal disposé envers les chevaliers de Palestine, comme toute son histoire le témoigne, ne parle ici que d'après des ouï-dire: « fama est », dit-il. Les ouï-dire ont plus d'une fois trompé cet historien d'ailleurs très-estimable ; et l'on sait, comme le remarque le P. Pagi, qu'il mérite beaucoup moins de confiance sur les événements qui l'ont précédé que sur ceux qui sont arrivés de son temps.
    Du Cange, sur celui qui nous occupe, fait une faute, en disant que le grand-maître Bernard de Tramelai y survécut plusieurs années. Anselme de Gemblours, auteur contemporain, qui ne racontait de la Palestine que ce qu'il en avait appris de témoins oculaires, comme il l'atteste lui-même, dit formellement que le grand-maître fut tué dans Ascalon avec tous les chevaliers qui l'avaient accompagné: « Primus proepositus et Dux illius exereitas qui fraternae societatis professione Templo militant... cum omni turba suorum obtruncatur (Chron. Ad. An. 1153). » Ce revers au reste ne fit que retarder de quelques jours le prise d'Ascalon, qui fut emportée par un nouvel assaut 19 du même mois d'août (Pagi).

    V. Bertrand de Blanquefort

    1153. Bertrand de Blanquefort (et non pas Arnaud de Montescot, comme le suppose Dom Vaissète) succéda dans le magistère à Bernard de Tramelai. Il était fils de Godefroi, seigneur de Blanquefort, en Guienne.

    L'an 1155, les Templiers avec lui surprennent, dans sa fuite, le meurtrier de Dafer, calife d'Egypte, lui enlèvent les trésors qu'il emportait, et livrent son fils aux Egyptiens.

    L'an 1156, le 19 juin, Bertrand, surpris lui-même dans un défilé par Noradin, est fait prisonnier avec 87 des siens. Enflé de ce succès, le sultan va faire le siège de Panéas ; mais les Templiers, conduits par le roi Baudouin l'obligent à le lever.

    Bertrand, l'an 1159, recouvra la liberté avec ses compagnons prisonniers, et six mille autres captifs, par les soins de l'empereur de Constantinople.

    L'an 1165, Geoffroi Martel, frère du comte d'Angoulême, et Hugues le Brun, sire de Lusignan, étant arrivés avec des troupes en Palestine, frère Gilbert de Laci, précepteur du Temple, les engage avec d'autres capitaines Francs, à marcher sous sa bannière contre Noradin qui campait dans le comté de Tripoli avec une sécurité dont il était facile de tirer avantage. Ils se mettent en route, surprennent le camp des Musulmans dont ils font un grand carnage, et obligent Noradin de se sauver à demi nu. Mais il eut sa revanche le dix août de la même année, près du château de Harenc, par la témérité des Francs qui l'attaquèrent en désordre dans sa retraite (Voyez Bohémond III, prince d'Antioche). De 60 chevaliers du Temple qui se trouvèrent à cette action, il n'en échappa que sept. Le grand-maître Bertrand était alors en Egypte où il faisait la guerre avec le roi Amauri. De retour sur la fin de l'année, ce monarque fait pendre douze chevaliers du Temple pour avoir rendu lâchement à Siracon ou Schirkouk le château de la caverne qu'il avait confié à leur garde (Guillaume de Tyr. L. XIX, c. 12).

    Lan 1166, Bertrand fait une députation au roi de France, avec une lettre où il expose pathétiquement la désolation de la Terre-Sainte. Mais l'année suivante il refuse de porter de nouveau les armes en Egypte, à cause du traité de paix dont le procureur-général de l'ordre avait été le principal entremetteur.

    L'an 1168, Bertrand meurt avec la réputation d'un religieux édifiant et d'un capitaine très-versé dans le métier de la guerre. De son temps le pape Alexandre III accorda aux Templiers plusieurs privilèges qui sont compris dans sa bulle du 18 juin 1163.

    Sous le magistère de Bertrand vivait André de Montbard, oncle maternel de Saint Bernard. L'abbé Geoffroi l'appelle maitre du Temple, et le plus ferme appui du royaume de Jérusalem, dans la Vie de ce saint. Sur ce fondement on l'a fait grand-maître de l'ordre, faute de savoir distinguer le grand-maître des maîtres particuliers. Chifflet et D. Mabillon n'ont pas donné dans cette méprise.

    VI. Philippe de Naplouse

    1168. Philippe, né à Naplouse, en Syrie, fut le successeur immédiat du grand-maître Bertrand. Il était originaire de Picardie, fils ainé de Gui de Milli et de Stéphanie, dame flamande, Philippe fut d'abord seigneur de Naplouse, et se trouva au siège de Damas en 1148. Il avait été marié avec une dame qui lui apporta en dot les villes de Krac et de Montréal, dans l'Arabie pétrée. Des deux filles qu'il eut de cette alliance, l'aînée, appelée Stéphanie, épousa en premières noces Humphroi II de Thoron, fils de Humphroi I, connétable de Jérusalem, qu'elle fit père de Humphroi III, à qui le roi Baudouin IV donna en mariage, l'an 1181, au mois d'octobre, sa soeur Isabelle, par les soins de Renaud de Châtillon, troisième époux de Stéphanie (Guillaume de Tyr, p. 1019).

    Philippe, après la mort de sa femme, se fit templier. La conduite qu'il tint dans l'ordre lui en mérita la première place. Il ne la conserva que peu de temps, puisqu'il y avait déjà renoncé avant Pâques de l'an 1171. Sur la fin de 1170, Saladin ayant assiégé Daroun, près de Gaza, les chevaliers vinrent l'attaquer pour le forcer à lever le siège. Le sultan gagna la bataille suivant M. de Guignes, la perdit selon, M. Jauna. Ce qui est certain, c'est qu'il vint aussitôt se présenter devant Gaza, place qui appartenait aux Templiers: elle fut défendue de manière à lui faire comprendre qu'il perdait son temps à l'assiéger. Etonné de cette résistance, il décharge sa colère sur les faubourgs et la campagne, où il met tout à feu, et à sang.

    VII. Odon de Saint Amand

    1171. Odon de Saint-Amand, chevalier français, né de parents aussi distingués par leur piété que par leur noblesse, maréchal, puis bouteiller du royaume de Jérusalem avant de se faire templier, fut donné pour successeur au grand-maître Philippe de Naplouse. Presque aussitôt il eut le chagrin de voir apostasier le templier Mélier ou Milon, frère du prince d'Arménie, dont il usurpa les états sur son neveu. Ce perfide, non content de ravager les terres de ses confrères, poussa la barbarie jusqu'à vendre aux infidèles ceux qui eurent le malheur de tomber entre ses mains (Willel. Tyr. L. XX. C. I).

    Vers le même temps Gautier du Ménil, chevalier du même ordre, massacra le député du prince des Assassins, qui venait à Jérusalem pour traiter de la conversion de son maître: nouveau sujet de mortification pour Saint Amand. Le roi Amauri, craignant les suites de cet attentat, demande que le coupable lui soit livré. Le grand-maître le refuse, alléguant les privilèges de l'ordre, qui l'exemptaient de la justice séculière: ce refus occasionna de fâcheuses altercations. Amauri, suivant Guillaume de Tyr, vint à bout de faire enlever du Ménil et de le faire emprisonner à Tyr ; mais il mourut, ajoute Guillaume de Tyr, avant de pouvoir le faire juger par son conseil. Cependant la perfidie de ce particulier fit tomber l'ordre dans un grand discrédit ; tant il est, important dans un corps de ne point laisser impunies les fautes d'éclat.

    L'an 1177, les chevaliers s'étant joints au comte de Flandre, ravagent les environs de Césarée, et de là se viennent présenter devant le château de Harenc; mais ils poussent le siège avec tant de lenteur, qu'il fallut l'abandonner l'année suivante, après 6 mois de travaux inutiles (Willel. Tyr. L. XXI). Durant cette expédition, Saint Amand se trouva, le 18 novembre 1177, avec 80 de ses chevaliers, à la bataille de Ramlah donnée contre Saladin. Les Chrétiens la gagnèrent, mais le sultan eut sa revanche l'année suivante. Tandis que les Templiers sont occupés à construire un fort au gué de Jacob, près de Panéas, il vient les attaquer le 26 mai. Le roi Baudouin vole inutilement à leur secours. Les Francs sont battus ; le grand-maitre et plusieurs de ses chevaliers sont pris dans la mêlée. On envoie les plus distingués à Damas ; les autres sont sciés par le milieu du corps sur le champ de bataille. On propose à Saint Amand un échange de sa personne contre un émir, prisonnier de l'ordre. Il a la générosité de le refuser. Je ne veux point, dit-il, autoriser, par mon exemple, la lâcheté de ceux de mes religieux qui se laisseraient prendre dans la vue d'être rachetés. Un Templier doit vaincre ou mourir, et ne peut donner pour sa rançon que son poignard ou sa ceinture. Il mourut dans les fers après quelques mois de captivité, c'est-à-dire Vers 1179.

    Malgré ce beau trait de la grandeur d'âme de ce grand-maître, Guillaume de Tyr ne laisse pas de l'outrager à l'occasion de cette journée. Odon, maître de la milice du Temple, dit-il, homme méchant, superbe et arrogant, ne respirant que la fureur, sans crainte de Dieu et sans égard pont les hommes, passe pour avoir été celui qui occasionna ce désastre à jamais honteux pour la chrétienté. Aussi dit-on qu'ayant été pris et jeté dans les fers, il mourut de misère sans emporter les regrets de personne (L. XXI. C. 29, p, 1015).

    Il est bon se rappeler que cet historien est en général peu favorable aux deux ordres militaires.

    VIII. Arnaud de Toroge

    1179. Arnaud de Toroge (de Turri Rubea) après avoir rempli les premières places de l'ordre en-deçà des mers, fut élu pour succéder au grand-maître Saint Amand. C'était un homme de coeur et d'honneur. Mais les conjonctures critiques où il se trouva ne lui permirent pas toujours de soutenir ce caractère.

    L'an 1180, Arnaud et le grand-maitre des Hospitaliers signent, par contrainte, une paix déshonorante avec Saladin.

    L'année suivante, ils furent envoyés par le roi Baudouin IV avec Renaud de Châtillon, prince de Montréal, à Antioche pour tâcher d'apaiser les troubles qui s'y étaient élevés à l'occasion du divorce que le prince Bohémond avait fait avec sa femme légitime pour en épouser une autre. Les affaires de Palestine allaient toujours en décadence. Les deux mêmes grand-maîtres s'embarquent, l'an 1184, avec le patriarche Héraclius, pour aller chercher du secours en Occident. Ayant abordé sur les côtes d'Italie, ils se rendirent à Vérone, où le pape était en conférence avec l'empereur. Arnaud mourut en cette ville, et non pas à Paris, comme quelques-uns l'ont prétendu.

    IX. Terric

    1184. Terric, ou Thierri, ou Térence, dont le pays et la famille sont inconnus, fut élevé à la dignité de grand-maitre après la mort d'Arnaud de Toroge. Sa témérité fut la cause des plus grands revers.

    L'an 1187, de concert avec le grand-maître de l'Hôpital, il attaque, près de Nazareth, le prince Afdhal, fils de Saladin, au retour d'une course qu'il avait faite sur les terres des Francs. La partie n'était pas égale. Cinq cents chrétiens combattirent contre sept mille cavaliers musulmans. Presque tous les chevaliers, qui se trouvèrent à ce combat, y périrent après avoir fait des prodiges de valeur. On admira surtout la bravoure de Jacquelin de Maillé, que les Musulmans prirent pour Saint-Georges, patron des armées chrétiennes. Cette action est du Ier mai.

    Le grand-maître des Hospitaliers fut du nombre des morts; mais celui du Temple échappa par la fuite (Voyez Roger de Moulins, grand-maitre des Hospitaliers).

    Le 5 juillet suivant se donna la fameuse bataille de Tibériade par les conseils de Terric, et contre l'avis du comte de Tripoli, quoiqu'il s'agît de délivrer sa femme et ses enfants assiégés dans la tour de Tibériade après la prise de la ville. Les Templiers, à la suite du grand-maître, percent les premiers escadrons et les renversent sur les suivants; mais abandonnés du reste de l'armée, bientôt ils se trouvent investis et accablés par la multitude. Nul d'eux n'échappa ; ils furent tous tués ou faits prisonniers. Saladin, après la bataille, fait trancher la tête à ces derniers pour avoir préféré la mort au Mahométisme qu'il leur proposait d'embrasser. Le grand-maître seul fut réservé. La prise de Jérusalem fut la suite de la journée de Tibériade. Les Templiers qui, lors de la bataille, étaient restés en cette ville pour la défendre, donnèrent en la quittant, pour aller s'établir à Margat, une preuve éclatante de leur charité. Outre la rançon de quantité de pauvres, qu'ils payèrent, ils se chargèrent encore de les mettre en lieu de sûreté. Les Hospitaliers en firent autant de leur côté.

    Quelques mois après cet événement, Terric obtint sa liberté. Mais obligé par le serment qu'il avait fait à Saladin de ne jamais porter les armes contre lui, il donna sa démission, se regardant comme incapable par cet engagement, de continuer à gouverner l'ordre. Il n'abandonna point cependant la Terre-Sainte ni ses intérêts.

    Benoît de Peterborough nous a conservé, dans la Vie de Henri II, roi d'Angleterre, une lettre circulaire de Terric à ses frères, où il leur fait la peinture du déplorable état de la Palestine, pour les exciter à venir à son secours. Ce fut pendant le siège de Tyr qu'il l'écrivit; siège mémorable par la brave défense du marquis Conrad, qui triompha de toutes les forces et de tous les efforts de Saladin. Dans cette lettre il prend le nom de Térence. Il en écrivit une autre sur le même sujet l'année suivante au roi d'Angleterre (Ibid.).

    X. Gérard de Ridefort

    1188. Gérard de Ridefort ou de Bedfort (il y avait en Flandre et en Angleterre plusieurs familles de ce nom), fut substitué au grand-maître Terric.

    L'an 1189, il commanda le corps de réserve à la bataille qui se donna le 4 octobre contre Saladin. L'aile droite des ennemis fut culbutée au premier choc: mais tandis que les Francs s'amusent au pillage, Saladin revient sur eux, et il en eût fait un horrible carnage sans la brave résistance des Templiers. Le grand-maître périt dans l'action avec plusieurs des siens ; heureux, dit un contemporain, de terminer tant de beaux exploits par une mort aussi glorieuse.

    L'histoire ne parle point des autres occasions où ce grand capitaine se signala. Corneille Zantfliet, écrivain du quinzième siècle, place la mort de Riderfort dans une autre circonstance. Après sa mort le magistère vaqua dix-huit mois. Durant cette vacance, les Chrétiens firent le fameux siège de Saint-Jean d'Acre, où les chevaliers du Temple signalèrent leur valeur.

    XI. Robert de Sablé

    1191. Robert, seigneur de Sablé, IIIe de son nom, fils aine de Robert II de Sablé et d'Hersende, fut élu grand-maître du Temple après l'arrivée du roi d'Angleterre en Palestine. Il avait commandé la flotte qui avait amené ce prince, et s'était fait templier à son arrivée devant Acre.

    Les grands exploits par où il s'était distingué en Espagne, en Sicile et ailleurs, lui tinrent lieu de probation. A peine eut-il été admis, qu'il se vit à la tête de l'ordre. Sa conduite dans le magistère justifia ce choix. Peu de temps après son élection, les Templiers, sous la conduite du roi d'Angleterre, gagnent, au mois de juillet, une bataille contre Saladin dans la plaine d'Arsoph. A la faveur de cette victoire ils se trouvent en état de réparer les places maritimes, objet auquel ils donnèrent tous leurs soins.

    Ce fut encore sur la fin de cette même année que Richard, roi d'Angleterre vendit ou engagea pour la somme de vingt-cinq mille marcs d'argent aux Templiers, l'île de Chypre, qu'il venait de conquérir, en faisant route pour la Palestine, sur le tyran Isaac Comnène.

    Le grand-maître y envoie cent de ses chevaliers pour en prendre possession et la garder. « Mais bientôt ces nouveaux maîtres furent avertis que les Grecs, qui ne haïssaient pas moins les Latins qu'ils avaient haï leur tyran, avaient formé une conjuration dans toute l'étendue de l'île pour les massacrer. Sur cet avis les Templiers s'enferment dans le château de Nicosie, capitale de l'île. Les Grecs vinrent en grand nombre les y assiéger. Ces braves guerriers, voyant qu'ils ne pouvaient tenir longtemps sans mourir de faim, résolurent de périr en gens de coeur. Le jour de Pâques (1192) après avoir participé aux saints-mystères, ils font une sortie et tombent l'épée à la main sur les assiégeants. Ils ne cherchaient qu'une mort honorable, ils trouvèrent une victoire qu'ils n'attendaient pas. Cette multitude prit aussitôt la fuite ils en firent un carnage qui dura tout le jour, et ne laissèrent dans Nicosie ni hommes ni femmes. Leurs confrères (de Palestine) instruits de cette révolution, déclarèrent au roi d'Angleterre qu'ils ne voulaient pas être les gardiens de cette île, habitée par un peuple aussi perfide que lâche. Richard en donna le domaine à Gui de Lusignan (Le Beau).

    En Espagne, au 1194, les deux ordres militaires du Temple et de l'Hôpital, sont battus par le miramolin d'Afrique.

    L'an 1196 au plus tard, Robert de Sablé finit ses jours. Avant d'entrer en religion il avait épousé: 1. Marguerite de Chaource, 2. Clémence de Mayenne. De l'un de ces deux, mariages sortirent Geoffroi de Cornillé, le dernier mâle de sa maison, et deux filles. Geoffroi de Cornillé, dans une charte, atteste lui-même que son père avait été grand-maître des Templiers, ce qui lève le doute de Du Gange sur l'identité du grand-maître Robert et de Robert, seigneur de Sablé: « ego Gaufridus Dominus de Cornilleio, filius Domini Roberti de Sabolio: qui scilicet Robertus magister templi Hierosolymis tunc temporis habebatur (Menage, Hist. de Sablé, 175). »

    XII. Gilbert Horal

    1196. Gilbert Horal ou Eral, précepteur de France, était pourvu du magistère en 1196. Cela est prouvé par une dotation d'Alfonse, roi d'Aragon, faite cette année en faveur du couvent militaire d'Alhambra (Hisp. Illustr. T. III, p. 59).

    La valeur chez les chevaliers n'était point alors une passion effrénée; ils savaient, lorsque la justice l'exigeait, l'enchaîner et la faire plier a des engagements plus sacrés.

    L'an 1197, ceux de Palestine refusèrent de joindre leurs armes à celles des impériaux contre les Musulmans. L'honneur et la religion du serment furent les motifs de ce refus. Ils avaient signé et juré la trêve conclue par le roi d'Angleterre avec l'ennemi.

    L'an 1199, grande querelle entre les Templiers et les Hospitaliers: on en vient aux mains. Terric, ci-devant grand-maître du Temple, et Villeplane, son confrère, sont députés au pape Innocent III sur ce démêlé. Le pape, après avoir blâmé les deux partis, renvoie l'affaire aux évêques d'Orient qui condamnent les Templiers. L'évêque de Sidon alla même jusqu'à fulminer une sentence d'excommunication contre le grand-maître du temple, contre les sujets de l'ordre, et contre tous leurs amis et protecteurs en général. Cette indiscrétion fut blâmée hautement par le pape qui, dans une lettre, accusa l'ignorance et de malice ce prélat, et le suspendit de ses fonctions (innocent. L. II, Epist. 269).

    L'an 1200, les Templiers d'Allemagne jettent les fondements du château de Mongberg, dans la marche de Brandebourg. On ignore l'année de la mort du grand-maître Gilbert Horal ; mais il ne passa pas l'an 1201.

    XIII. Philippe du Plessiez

    1201. Philippe du Plessiez, né d'une famille illustre d'Anjou, était en possession du magistère, selon Du Cange, en 1201.

    La même année, le roi d'Arménie enlève aux Templiers le fort Gaston, situé dans la principauté d'Antioche. Le grand-maître, l'an 1202, fait déployer le Beaucéant ou Baucens (l'étendard de l'ordre), pour obliger ce prince à restituer la place. On convient ensuite d'une suspension d'armes jusqu'à l'arrivée des légats. Celte convention était l'effet d'une impuissance réciproque. Le roi, dans l'intervalle, chasse tous les Templiers de son royaume, et fait saisir tous les biens qu'ils y possédaient. Ce démêlé fut terminé, l'an 1213, à l'avantage de l'ordre. Il y avait cependant des plaintes portées en cour de Rome contre les Templiers.

    L'an 1208, le pape Innocent III leur écrivit une lettre très-forte sur leur désobéissance envers les évêques et même les légats. Les grandes richesses de l'ordre avaient produit cet esprit d'indocilité. Elles augmentèrent dans la, suite, et ne rendirent pas ces chevaliers plus souples.

    L'an 1210, Pierre II, roi d'Aragon, fit donation a ces chevaliers du fort d'Azuda et de la ville de Tortose.

    En 1213, se donna la fameuse bataille d'Ubéda, que les Chrétiens gagnèrent sur les Maures d'Espagne. Entre les Templiers qui s'y distinguèrent, on remarque Gomez Ramirez, précepteur de Castille, qu'on a fait mal-à-propos grand maitre de l'ordre.

    L'an 1217 est mémorable dans les fastes d'Espagne par la victoire que les Chrétiens remportèrent sur les Maures après la prise d'Alcazar. On fut redevable en grande partie de ces avantages à la valeur des chevaliers.

    Du Plessiez mourut cette année. Du Cange lui fait succéder Déodat de Bersiac, qui n'est qualifié nulle part grand-maître, pas même dans les endroits cités par cet auteur.

    XIV. Guillaume de Chartres

    1217. Guillaume de Chartres, français de nation, fut le successeur immédiat du grand-maître du Plessiez. On le confond mal-à-propos avec Guillaume de Montedon. Ces deux personnages sont différents, et le dernier ne parvint jamais à la dignité de grand-maître.

    Le premier était fils de Milon IV, comte de Bar-sur-Seine, avec lequel il se trouva, l'an 1218, au siège de Damiette, comme l'atteste dans l'histoire de cette expédition, Olivier qui s'y rencontrait aussi: « Venit etiam.... Comes Barri et filius ejus frater Willelmus de Carnoto magister militiae templi (Apud Eccard, Corp. Hist. Med. Oevi, T. II, p. 1406). »

    Les Templiers commençaient alors à construire le fameux château des Pèlerins sur la pointe d'un rocher, entre Dora et Césarée; entreprise très-dispendieuse, mais également utile. Ce fort seul causa plus de mal aux infidèles que toute une armée en campagne.

    L'an 1218, il fut vainement insulté par l'ennemi durant l'absence des chevaliers, occupés au siège de Damiette où ils firent des merveilles.

    L'an 1219, Guillaume de Chartres meurt devant Damiette d'une maladie épidémique causée par l'inondation du Nil (Voyez Scherferdin, sultan de Damas).

    Ce fut à Guillaume de Chartres que le pape Honorius III écrivit, l'an 1218, pour le prier de veiller à la conservation du royaume de Chypre après la mort du roi Hugues I. Rubeo, dans l'Histoire de Ravenne (L. VI, p. 880), nous a conservé une réponse de ce grand-maître au même pape pour l'informer de l'état de la Terre-Sainte. Voyez les comtes de Bar-sur-Seine.

    XV. Pierre (et non Thomas) de Montaigu

    1219. Pierre de Montaigu, d'une famille des plus répandues en France, et féconde en grands hommes, fut donné pour successeur, devant Damiette, à Guillaume de Chartres.

    La bravoure et l'habileté qu'il fit paraître à ce siège, l'ont fait comparer par les historiens du temps à Gédéon. Mais son entêtement à rejeter les offres avantageuses du Soudan d'Egypte, obscurcit beaucoup la gloire qu'il acquit dans cette expédition.

    Ce prince, pour engager les croisés à lever le siège, offrait de rendre la vraie croix avec le royaume de Jérusalem, et tous les prisonniers qu'il avait faits; il s'obligeait de plus à fournir les sommes nécessaires pour rebâtir les murs de Jérusalem, qu'il venait de détruire. Tous les chefs de l'armée donnaient les mains à des propositions si avantageuses. Il n'y eut que le légat et les Templiers qui s'y opposèrent. La place à la vérité fut prise le 5 (et non le 9) novembre 1219; mais il fallut la rendre deux ans après (Voyez Scharferdin, sultan d'Egypte).

    Les Templiers qui repassèrent après cette perte en Europe, n'y restèrent pas oisifs.

    L'an 1224, les Castillans, secondés par ces chevaliers, remportèrent de grands avantages sur les Maures.

    L'an 1225, ils prirent la défense du jeune roi d'Aragon, don Jayme, contre l'ambitieux Moncade, qui avait entrepris de le détrôner.

    Le dévouement qu'ils marquèrent en 1227 pour les intérêts du pape dans ses démêlés avec l'empereur Frédéric II, leur attira l'inimitié de ce prince. Ils en ressentirent les funestes effets en Sicile, ou ils possédaient de grands biens, que Frédéric mit sous sa main.

    Cependant l'année 1228, malgré ce sujet de mécontentement, ils vont au devant de lui à son arrivée en Palestine, et lui rendent tous les honneurs dus à la majesté impériale. Mais ils en demeurent là. Frédéric veut les obliger à marcher en corps avec lui contre l'ennemi. Le grand maître le refuse, alléguant la défense du pape qui ne lui permet pas de prendre les ordres d'un prince excommunié.

    L'an 1229, à l'exemple du patriarche de Jérusalem, il ne veut point souscrire le traité que Frédéric avait fait avec le sultan d'Egypte; nouveau sujet de brouilleries. L'empereur charge d'injures le grand-maître, en quittant la Palestine.

    De retour en Europe, Frédéric continue de vexer les Templiers en Sicile. Dans le cours de la même année; ceux d'Aragon font la conquête des îles Baléares, sous les ordres du roi don Jayme. Ce prince ayant déclaré, l'an 1233, Alfonse, son fils, héritier de ses états, lui désigna, pour gouverneurs, les maîtres du Temple et de l'Hôpital en Aragon.

    Montaigu n'était plus alors grand-maître, ou du moins cessa de l'être cette année, par mort ou par démission. Ce fut, suivant la conjecture de Du Cange, sous le magistère de Pierre de Montaigu que les Templiers obtinrent des bulles de Rome pour être exempts de la juridiction du patriarche de Jérusalem.

    XVI. Armand, ou Herman de Périgord

    1233, Armand de Périgord, ou de Péyragos, de l'ancienne maison, à ce qu'on croit, des comtes de Périgord, remplaça, l'an 1233, au plus tard, le grand-maître de Montaigu. Ruffi le prouve par un traité passé cette année entre les Marseillais et les Templiers de Palestine.

    Armand avait été au paravent précepteur de Calabre et de Sicile.

    L'an 1257, après l'expiration des trêves conclues avec le sultan d'Alep, les Templiers se laissèrent engager par Guillaume de Montferrat, précepteur d'Antioche, à faire le siège d'un château des infidèles, voisin de cette ville. Mais les Turcs, étant venus fondre sur eux inopinément au mois de juin, en firent un grand carnage. Dans cette action le Beaucéant était porté par un chevalier anglais, nommé Philippe d'Argenton, qui eut les bras et les jambes coupés avant que de rendre l'étendard (Math. Paris).

    Richard, comte de Cornouailles, le même qui, dans la suite, fut empereur d'Allemagne, étant venu, l'an 1240, en Palestine, s'y distingua par des exploits qui n'eurent pas les suites heureuses qu'on devait en attendre, par les traverses que la jalousie des seigneurs du pays lui suscita.

    Avant son départ il conclut, l'an 1241, ne pouvant mieux faire, une trêve pour la Terre-Sainte avec tous les princes du voisinage, et donna ses soins pour étouffer toute semence de discorde entre les ordres militaires.

    Mais les Templiers, qui s'étaient moqués de lui pendant qu'il était avec eux, jusqu'à l'appeler un garçon, « garsionem », ne tinrent compte de ses trêves, et maltraitèrent les Hospitaliers qui se faisaient un scrupule de les violer.

    Ils ménagèrent encore moins les chevaliers Teutoniques qui pensaient de même, et les ayant chassés de leur couvent de Notre-Dame d'Acre, ils les contraignirent de passer en Europe où ils firent, retentir toutes les cours de leurs plaintes (Mat. Paris).

    L'an 1244, le grand-maître Armand combattit à la tête de ses chevaliers, dans les deux sanglantes batailles livrées par les Francs aux Kharismiens, et périt avec un grand nombre des siens dans la dernière donnée le jour de Saint Luc, 18 octobre 1244, suivant la lettre de Guillaume de Châteauneuf, grand-maître de l'Hôpital, rapportée à l'article de Pierre de Villebride, son prédécesseur. On fut néanmoins plus d'un mois après cet événement sans savoir qu'était devenu le grand-maître du Temple, parce que les ennemis étaient restés maîtres du champ de bataille. Les uns disaient qu'il avait été tué dans la mêlée, les autres qu'il avait été fait prisonnier. Dans cette incertitude, le chapitre général nomma vice-régent Guillaume de Roquefort, qui exerça cette commission l'espace d'environ trois ans.

    XVII. Guillaume de Sonnac

    1247. Guillaume de Sonnac, ou De Sénai, d'une famille distinguée en Languedoc, fut élu en 1247, Pour remplir la dignité de grand-maître. On s'occupait alors sérieusement en France des affaires de la Terre-Sainte.

    L'an 1248, Saint Louis arrive en Chypre le 28 septembre, suivi de plusieurs templiers français. Sonnac va joindre ce prince devant Damiette, et se distingue au siège de cette place qui tomba au pouvoir des croisés.

    Le monarque français témoin de sa valeur, de sa prudence et de son habileté, lui confie, l'an 1250, l'avant-garde de son armée, avec ordre au comte d'Artois de le suivre. Le comte, pour avoir désobéi et méprisé les avis de Sonnac, est cause de la déroute des Francs à Mansourah, où lui-même périt le 5 avril ; Sonnac y perdit un oeil.

    Trois jours après il fut tué dans une nouvelle action, qui entraîna la ruine de l'armée et la captivité du saint roi.

    Mathieu Paris qualifie Sonnac, sans le nommer, d'homme prudent, circonspect et très-versé dans l'art militaire.

    XVIII. Renaud de Vichiers

    1250. Renaud de Vichiers, grand maréchal de l'ordre, et auparavant précepteur de France, champenois de naissance, fut élu, après le retour des chevaliers en Palestine, pour succéder au grand-maître Sonnac.

    Ce fut lui qui, par ses remontrances, engagea Saint Louis à prolonger son séjour en Syrie.

    Peu de temps après son élection il apprit la nouvelle de la mort de l'empereur Frédéric II, et du testament par lequel il ordonnait la restitution des biens qu'il avait enlevés aux Templiers.

    De Vichiers mourut en 1256, suivant Bernard le trésorier (Martenne, Amp. Coll., T. V, col. 736).

    XIX. Thomas Béraut

    1256. Thomas Béraut, ou Berail, succéda au grand-maître de Vichiers, et non pas cet Amauri qui se trouve dans la liste de Du Cange. L'endroit cité par cet auteur prouve bien qu'Amauri et demandé pour précepteur de France par le pape et le roi Saint Louis, mais nullement qu'il ait été postulé pour grand-maître. D'ailleurs Bernard le trésorier met Thomas Béraut après Renaud de Vichiers. « Mourut, dit-il frère Renaud de Fichiers, maistre du Temple. Après lui fu faict maistre frère Thomas Bérail. »

    Les peines que Saint Louis, pendant son séjour en Palestine, s'était données pour réunir tous les esprits et les faire concourir au bien de la cause commune, n'avaient eu qu'un effet très-passager. Bientôt après son départ on vit les factions se renouveler. Les Hospitaliers et les Templiers ayant pris des partis opposés dans celles des Génois et des Pisans, se trouvaient continuellement dans un état de guerre entre eux.

    L'an 1259, ils en vinrent à une bataille si sanglante, qu'il n'en échappa qu'un seul chevalier du Temple (Mat. Paris). La nouvelle de ce désastre étant arrivée en France, les précepteurs des Templiers y assemblent un chapitre général pour aviser aux moyens de réparer la perte qu'ils avaient faite. Plusieurs membres de l'ordre, en conséquence de la délibération qu'on avait prise, s'embarquent pour la Palestine, et l'on préjuge bien qu'ils n'y portèrent pas des dispositions pacifiques envers les Hospitaliers. Mais à leur arrivée en ce pays, ils y trouvèrent des affaires qui les obligèrent de suspendre leurs inimitiés. Les Turcomans étaient entrés dans la Terre-Sainte qu'ils ravageaient. Les Templiers s'étant joints aux troupes du pays, livrèrent inconsidérément une bataille à ces barbares qui les mirent en déroute, et firent un grand nombre de prisonniers (Gurtler, Histoire Templar, p. 322). Cet orage passé, un autre lui succéda.

    L'an 1263, Bibars ou Bondochar, sultan d'Egypte, vint à la tête de trente mille chevaux, le 14 avril 1263, se présenter devant Saint Jean d'Acre. Mais la valeur des Templiers et des Hospitaliers l'obligea de se retirer après avoir fait le dégât autour de la place (Sanut.)

    L'an 1264, le pape Urbain IV, indisposé contre Etienne de Sissi, maréchal des Templiers, le prive de sa charge: entreprise inouïe jusqu'alors. De Sissi fait à ce sujet de très-humbles remontrances au pape qui, pour toute réponse, l'excommunie comme un rebelle.
    L'ordre prend le parti du maréchal. Urbain meurt sur ces entrefaites. Clément IV, son successeur, absout de Sissi, après avoir réprimandé ses supérieurs.

    L'an 1266, les Templiers, assiégés dans Saphed, par Bondochar, sont obligés de se rendre après quarante-deux jours de siège. Cette place, située entre Acre et Damas, venait à peine d'être achevée, après avoir coûté plus de douze cent mille besants pour sa construction. Ce fut par la trahison du chevalier Livon, syrien de naissance, qui en était châtelain, que les Chrétiens la perdirent. Car au lieu d'encourager les assiégés à faire une bonne et vigoureuse défense, ce traître, qui s'entendait avec le sultan, rompait toutes les mesures que l'amour du devoir leur inspirait, et ne cessait de les porter au découragement en les menaçant des plus grands malheurs, s'ils s'obstinaient à se défendre. La Chronique de Saint Martin de Limoges, date la prise de Saphed du jour de Saint-Christophe (25 juillet.)

    Bondochar, contre un des articles de la capitulation, propose aux habitants l'alternative du changement de religion, ou de la mort, et ne leur donne que jusqu'au lendemain pour se décider. Le prieur du temple de Saphad, assisté de quatre franciscains, passe la nuit à exhorter la garnison et les bourgeois au martyre. Dieu bénit les efforts de son zèle. De trois mille hommes qu'ils étaient (M. de Guignes, dit environ six cents), il n'y en eut que huit a la tête desquels était le châtelain Livon, qui apostasièrent; tous les autres eurent la tête tranchée.

    L'an 1268, Bondochar enlève aux Templiers le château de Beaufort, et la plupart des places qu'ils avaient sur les confins de l'Arménie. Les succès étonnants de ce prince occasionnent, l'an 1270, une nouvelle croisade.

    Quantité de chevaliers italiens, français et siciliens, suivis d'un grand nombre d'autres personnes, accourent en Palestine. Malgré ce renfort, la Terrer Sainte, en 1271, se trouve bientôt sans autre secours que celui des chevaliers.

    L'an 1273, le grand-maître Béraut meurt le 25 mars, suivant Bernard le trésorier. Il est qualifié d'homme sage dans une lettre des Orientaux au roi de Navarre. C'est à lui néanmoins qu'on imputa, lors de la condamnation des Templiers, sous Philippe le Bel, d'avoir introduit dans l'ordre la coutume de renier Jésus Christ, quand on voulait y entrer, et cela, disait-on, parce qu'ayant été fait prisonnier, a la prise de Saphad, il n'avait obtenu sa liberté qu'a cette condition (Du Puy, Histoire des Templiers p. 20)

    XX. Guillaume, ou Guichard de Beaujeu

    1273. Guillaume ou Guichard, dit aussi Guillard de Beaujeu, d'une maison illustre qui tirait son nom du château de Beaujeu, près de Grai, sur la Saône (Dunod), commandeur de la Pouilles, fut élu grand-maître en son absence le 15 mai 1273, suivant Bernard le trésorier. Il faut donc rayer du catalogue des grands-maîtres Robert et Guiffrei, dont on place les magistères entre Béraut et Beaujeu.

    L'an 1274, il assista au concile de Lyon. S'étant embarqué la même année, il arriva, le 29 septembre 1274, dans la Palestine, qu'il trouva désolée. Les chevaliers, harcelés par les infidèles, étaient retranchés sur une montagne avec le roi Hugues de Lusignan.

    Le grand-maître du Temple vint à bout de les délivrer.

    L'année suivante, « mut ung contens à Triple (Tripoli), entre les chevaliers et les gens de la cité, pour ce que les Romains qui avoyent tout le pouvoir de la court au temps de l'autre prince avoyent fait moult de desplaisirs et d'ennuys aux seigneurs de la terre, et fu tué Jean-Pierre et deux autres Romains avec luy, et par ce que l'Evesque de Triple maintenoit les Romains comme cil qui estoit natif de Rome des Persiers et oncle du prince, et l'Evesque de Tourtouse qui le prince et tout le fait de Triple en sa main maintenoit les chevaliers de la terre ; par quoy sourdy grant hayne et grant riote entre ces deux Evesques, qui fut rachie et commencement de la grant guerre qui fu puis entre le prince et le Temple, donc moult de maux vinrent... et le seigneur de Gibelet pour ce qu'il fist paix à l'Evesque de Triple par l'attrait du Temple, en cui gardé l'Evesque de Triple estoit et luy et ses choses, chut en la hayne du prince par le pourchas de l'Evesque de Tourtouse, dont la guerre enforça, et moult de gens en furent dommagiez et destruits » (Sinner, Catal. cod. mss. Bibl. Bern. T. II, p. 181.)

    Sanut ajoute que le grand-maître du Temple, ne pouvant obtenir justice de Bohémond VII, prince d'Antioche, touchant les outrages que ses gens faisaient aux Templiers, équipa sept galères au port d'Acre et les fit partir avec des troupes de débarquement pour aller faire le siège de Nephys, place voisine de Gibelet. Mais cette expédition, dit notre auteur, n'eut point de succès, parce qu'elle avait été entreprise contre la volonté de Dieu.

    L'an 1279, les Templiers eurent une autre querelle, dont on ignore le sujet, avec Alfonse, roi de Portugal. Ce prince les ayant dépouillés d'une partie de ce que ses ancêtres leur avaient donné, ils en portèrent leurs plaintes au pape qui le contraignit, par les censures, à rendre à l'ordre ce qu'il lui avait pris.

    En Chypre, l'an 1283, semblables démêlés des Templiers avec le roi Hugues III, et semblable traitement de sa part. Le pape intervient encore dans ce différent, et réussit à mettre d'accord les parties.

    Les affaires des chevaliers en Palestine allèrent toujours depuis en empirant. Il ne leur restait plus, en 1289, que Sayette ou Sidon, avec le château des Pèlerins.

    Les Francs eux-mêmes, depuis la perte de Laodicée, n'avaient plus que trois places, Tyr, Acre et Baruth.

    Le roi de Chypre et les chevaliers demandent en Vain la paix: ils ne peuvent obtenir qu'une trêve de deux ans, elle ne dura pas même ce temps.

    Des aventuriers, nouvellement débarqués au port d'Acre, la violent l'année suivante de la manière la plus perfide. Le sultan Kalil sort alors du Caire, dans la résolution d'exterminer tout ce qui restait de Francs en Syrie.

    L'an 1291, Acre est assiégée par terre le 5 avril. La garnison choisit Beaujeu pour commander dans la place. Après avoir vu succomber le plus grand nombre des siens, ce grand capitaine fut blessé sous l'aisselle d'une flèche empoisonnée, et mourut quelques moments après.

    M. Dunod, ou son imprimeur, met par erreur la mort de Guillaume de Beaujeu en 1297.

    Dans l'information faite contre les Templiers, sous Philippe le Bel, il est dit que ce grand-maître, durant les trêves qui furent accordées, par l'entremise du roi d'Angleterre, entre les Chrétiens et les Sarrasins, servit dans les armées du sultan, ce qu'il fit, lui fait-on dire, pour s'acquérir l'amitié de ce prince infidèle et s'assurer, par ce moyen, la conservation des places qu'il tenait dans la Terre-Sainte. Ce qui est certain, c'est que les Templiers et les Teutoniques s'étant rendus après s'être vaillamment défendus dans la bataille dont on vient de parler, furent tous égorgés malgré la capitulation (Voyez Ascraf, sultan d'Egypte, p. 491).

    XXI. Le Moine Gaudini

    1291. Le Moine Gaudini, et non Gouffier de Salvaing qui avait été lieutenant de Guillaume de Beaujeu, lui fut donné pour successeur immédiatement après sa mort. L'ennemi étant entré dans Acre le 18 mai 1291, Gaudini se retranche, avec les siens, dans le quartier du Temple, et s'y défend tout le jour suivant. On leur offre des conditions honorables qu'ils acceptent: elles sont presque aussitôt violées. Les chevaliers reprennent les armes, soutiennent un nouvel assaut, et périssent presque tous sous les ruines d'une tour qu'on avait, minée.

    Le 20 mai, le grand-maître s'embarqua avec les trésors de l'ordre, accompagné de dix chevaliers, reste de cinq cents qui étaient dans Acre. Il passe en Chypre, ainsi que le grand-maitre de l'Hôpital. L'un et l'autre établissent le chef-lieu de leur ordre dans la ville de Limisso, sous la protection du roi Henri II. Gaudiui mourut dans cette retraite l'an 1298 au plus tard.

    XXII. Jacques de Molay, dernier grand-maitre

    1298. Jacques de Molay paraît pour la première fois, l'an 1298, en qualité de grand-maître. Il était de la maison des sires de Longvic et de Raon, dans le comté de Bourgogne. Molay est une terre du doyenné de Neublans, au diocèse de Besançon.

    Jacques de Molay s'était fait connaître à la cour de France, où il avait eu l'honneur de tenir sur les fonts de baptême un des enfants du roi Philippe le Bel. Les historiens ne rapportent que des traits honorables de sa conduite en Orient.

    L'an 1299, le fameux Casan, roi des Tartares Mogols, étant accouru au secours des Arméniens, les Templiers, le grand-maître à leur tête, se joignent à lui, contribuent à la défaite des Musulmans, et reprennent plusieurs places, entre autres Jérusalem, où ils restent en garnison: mais ce ne fut pas pour longtemps.

    L'an 1300, la ville sainte retombe sous la domination des Musulmans, qui achèvent d'en raser les fortifications. Ce malheur n'abat point le courage du grand-maître. Retiré dans l'île d'Arade, il incommode les infidèles au point d'obliger le gouverneur de Phénicie à demander du secourt pour le repousser.

    L'an 1301, un émir étant venu l'attaquer, la victoire se déclare pour le Musulman. Cent vingt chevaliers sont faits prisonniers et conduits au Caire.

    L'an 1303, les troupes du Temple et de l'Hôpital, réunies pour la seconde fois à celles de Casan, font de nouveaux efforts contre le Musulmans. Mais elles furent Si maltraitées en deux rencontres que les chevaliers prirent le parti de retourner en Chypre. La même année, les Templiers de France prennent le parti du roi Philippe le Bel dans ses démêlés avec le pape Boniface VIII. Ils en furent bien récompensés par la suite !

    L'an 1305, Jacques de Molay, ses hauts officiers, et tous les sujets de l'ordre en général, sont représentés au pape Clément V comme des apostats, des hérétiques, des abominables. Le pape mande en France le grand-maître du Temple avec celui de l'Hôpital, pour ôter tout sujet de soupçon au premier.

    L'am 1306, Jacques de Molay arrive, avec soixante chevaliers, à la cour d'Avignon. Le pape l'amuse jusqu'à la conférence de Poitiers. Elle se tint l'année suivante entre ce pontife et le roi de France. On y concerta les mesures convenables pour supprimer la chevalerie du Temple. Le grand-maître et les précepteurs instruits de ce qui se tramait contre eux, vont se jeter aux pieds du pape, le suppliant d'informer sur les faits dont on les accuse. On informe, et de quelle manière ? Deux scélérats renfermés pour leurs crimes, l'un Templier, et l'autre bourgeois de Béziers, sont reçus dénonciateurs contre tout l'ordre.

    Le 13 octobre de l'an 1307, Soixante chevaliers, avec le grand-maître, sont arrêtés à Paris. Le secret fut si bien gardé, que tous furent saisis à la même heure par toute la France.

    Le 22 novembre, le pape mande à tous les souverains de l'Europe de sévir contre les Templiers. Le roi d'Angleterre prend leur défense. Depuis ce temps Jacques de Molay passa des prisons de Paris en celles de Corbeil; de là il fut conduit à Chinon, et enfin ramené à Paris, ou l'on acheva son procès, après lui avoir fait subir la question.

    L'an 1314 (Notre Seigneur) le lundi après la fête de Saint Grégoire le Grand, suivant Guillaume de Nangis, c'est-à-dire le 18 mars, il fut condamné au feu pour n'avoir pas voulu confirmer les aveux qu'il avait faits dans la torture, et les avoir même publiquement rétractés.

    L'exécution se fit dans ce qu'on nomme aujourd'hui la place Dauphine. Le grand-maître eut pour compagnon de son supplice Gui, frère de Robert III, dauphin d'Auvergne. Tous deux protestèrent de leur innocence en mourant.

    On a parlé sur les conciles de Paris et de Senlis, tenus en 1310, de l'exécution de plusieurs autres Templiers qui firent les mêmes protestations.

    Le grand-maître avait survécu a son ordre. Clément V étant au concile de Vienne, le supprima dans un consistoire secret tenu le mercredi saint, 22 mars, de l'an 1312; suppression qu'il publia le 3 avril suivant, dans la deuxième session du concile, et non le 22 mai, comme le marquent D. Félibien et l'abbé de Vertot. Il est remarquable que la bulle qu'il donna le 2 mai suivant, « VI nonas maii », porte que cette suppression n'est point ordonnée par jugement définitif; mais par sentence provisionnelle; et cependant elle dispose des biens des Templiers en faveur des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem.

    Le parlement de Paris, en conséquence de cette décision, rendit son arrêt le mercredi après l'Annonciation 1312 (V. S.), pour mettre frère Léonard de Tibertis, procureur-général du maître et des frères de l'ordre hospitalier, en possession des biens des Templiers. Mais il adjugea au roi sur ces biens deux cent mille livres, somme alors immense, pour les frais de procédures. Ainsi finit la chevalerie du Temple, 194 ans après son établissement.
    L'Art de Vérifier les Dates des Faits Historiques, des Chartes, des Chroniques, et autres anciens monuments depuis la naissance de Notre Seigneur. Tome cinquième, Paris 1818.

    Sceaux du Temple

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