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Première Croisade par Foulcher de Chartres

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    Année 1126 marche punitive sur Damas

    L'an de la Nativité du Seigneur 1126, après que les fêtes de Noël eurent été célébrées à Jérusalem, le roi rassembla son armée pour marcher contre le roi de Damas.
    Ayant fait annoncer son expédition dans le pays de Jérusalem, tous, chevaliers comme hommes de pied, se levèrent pour l'accompagner. Les gens de Ramla, et ceux, qui étaient dans Lydda passèrent par Naplouse et par [Scythopolis]. Dans la contrée du nord, les gens d'Accon et de Tyr, commandés par le roi, laissant à leur droite la ville de Sephorim et le mont Thabor, vinrent vers Tibériade. Les gens de Jérusalem s'étaient joints à eux, ils passèrent tous le Jourdain et se livrèrent sous leurs tentes à un agréable repas. Le temps était clair, le ciel serein et sans nuage, et l'on voyait briller les cornes de la dix-septième lune.

    Avant l'aurore, la trompette annonça qu'il fallait sortir du camp. Alors on relève les tentes, et on prépare tout pour le départ.
    On charge des bagages un grand nombre de bêtes de somme et de chameaux ce qui occasionne beaucoup de tumulte ; les ânes braient, les chameaux bêle et les chevaux hennissent. Les éclaireurs ayant commencé à sonder les chemins, la trompette sonna, et on prit la route qu'on reconnue la plus avantageuse. Lorsqu'ils eurent pénétré plus avant sur le territoire ennemi, ils eurent soin de marcher avec précaution, les bannières déployées et les armes à la main, de peur qu'un péril inattendu ne vînt à les troubler. Ils passèrent alors la caverne de Roob, entrèrent dans la terre des Damasquins, et se reposèrent deux jours au-delà le Medda, à la source d'un fleuve qui descend au-delà de la mer de Galilée, vers Scythopolis, et va se jeter dans le Jourdain.

    Ils détruisirent une tour qu'ils trouvèrent devant eux, et vinrent vers un château appelé Solone. Les Syriens chrétiens qui l'habitaient sortirent en procession pour aller au devant du roi.
    Ensuite ils arrivèrent à une vallée appelée Marchisophar, ce qui veut dire sopha de l'empereur, et demeurèrent pendant deux jours dans un lieu où l'apôtre Paul reçu du Seigneur un soufflet qui le priva pendant trois jours de la vue.
    Ils aperçurent en cet endroit les tentes des Damasquins, qui attendaient notre armée. Le fils du roi Toldequin, amenant avec lui environ trois mille cavaliers qu'ils avaient rassemblés comme il avait pu, retourna vers son père pour combattre, et rejoignit ses compatriotes ce jour-là même avant le combat qui ne tarda pas à s'engager. Nos troupes furent rangées en douze bataillons, tant de chevaliers que d'hommes de pied afin que si besoin, était, ils se prêtassent mutuel appui.
    Les nôtres ayant communié avec le pain sacré après avoir entendu la messe, la bataille s'engagea des deux côtés, et les nôtres commencèrent à combattre criant à haute voix, Dieu, aide-nous !

    Les Turcs aussi poussèrent de grands cris et se battirent avec très grande ardeur. Ils admiraient la valeur étonnante de ceux qu'ils avaient auparavant vilipendés comme déjà presque vaincus. Enfin le courage leur manquant et frappés de crainte et d'épouvante ; ils songèrent à fuir.
    Toldequin s'enfuit suivi de son fils.

    Quoique les ennemis eussent pressé les nôtres au delà de toute mesure ; leur courage s'accrut de plus en plus, et ils se montrèrent fermes et vaillants. Cependant, les Chrétiens étaient assaillis par les Turcs d'une telle pluie de flèches, qu'ils n'avaient aucune partie du corps qu'ils puissent garantir des coups et des blessures.
    Jamais les nôtres n'eussent à soutenir un combat aussi violent et plus terrible. Le tumulte occasionné par l'impétuosité, les courses des hommes de guerre, le bruit des armes, était à son comble. Le son des trompettes et des cors retentissait dans les airs.

    Déjà les nôtres enveloppés par les Turcs, étaient la plupart accablés de blessures ; mais, après avoir fui pendant environ quatre milles, ils se retournèrent enfin, et, saisis d'une ardeur martiale, ils recommencèrent à combattre.
    Le jour sacré du combat fut celui où brilla jadis la conversion de Paul, élu de Dieu. Cette bataille commença à la troisième heure du jour, et ne finit qu'avec le jour par la victoire des nôtres.

    Il est dangereux de combattre et honteux de fuir ; mais, il vaut mieux vivre infirme qu'avoir à pleurer éternellement un mort ; c'est pourquoi les Turcs préférèrent fuir pour conserver leur vie.

    Un peu plus de deux mille cavaliers Turcs restèrent sur le champ de bataille ; on ne saurait évaluer le nombre des gens de pied qui périrent.

    Nous perdîmes quatorze chevaliers et quatre-vingts hommes de pied. Notre roi se comporta très bien ce jour-là, ainsi que tous ses chevaliers et ses vassaux, et le Dieu tout-puissant fut avec eux.
    Le roi de Syrie s'enfuit avec ceux qui purent le suivre. Le roi revint à Jérusalem joyeux et triomphant. En s'en retournant, les nôtres assiégèrent une tour, et la prirent avec quatre-vingt-dix hommes.
    Les ayant fait tuer, le roi s'empara d'une autre tour avec vingt Turcs qui s'y étaient réfugiés.
    Ces Turcs, effrayés en voyant les nôtres miner la tour et en ôter d'énormes pierres, ce rendirent au roi, eux et la citadelle, et obtinrent à ce prix leur liberté ; mais le roi fit démolir la tour.
    Il lui parut très nécessaire de la faire raser, de peur que ses fortifications n'invitassent beaucoup de gens à se soulever contre lui ; car elle pouvait inspirer, à ceux qui y seraient renfermés, l'espoir certain du salut, et aux assiégeants le doute et la crainte. Cette histoire ennuierait peut-être les lecteurs, si on y rapportait tout ce que firent dans cette guerre la force et la ruse.

    Les Damasquins prenaient des jeunes gens remarquables par leur agilité, qui montaient avec leurs armes derrière les cavaliers, et qui, aussitôt qu'on était arrivé vers les ennemis, sautaient à bas de cheval et alors ces hommes de pied répandaient le désordre parmi les ennemis, attaqués d'un autre côté par les cavaliers qui les avaient amenés.

    Il est écrit : « Personne ne peut être entièrement heureux. » Nous n'avons pu être heureux en ce sens, que nous avons perdu dans ce combat quatorze des plus vaillants chevaliers, outre un petit nombre de gens de pieds braves aussi mais ; ce ne fut rien par rapport au carnage qui se fit des ennemis.

    Damas veut dire baiser de sang ou buvant du sang. C'est dans ce pays que comme nous le lisons, fut répandu le sang d'Abel. En effet, les Damasquins auraient pu s'abreuver du sang de leurs morts, et boire même leur propre sang.

    Fin mars 1126 la ruine de la ville de Raphanie

    Le roi étant enfin revenu à Jérusalem avec son armée, nous passâmes tout ce jour dans la joie, comme un jour de fête. Peu de temps après, le roi touché des prières du comte de Tripoli, marcha à son secours pour assiéger une ville que nous avons nommée Raphanie, et située au delà du mont Liban.
    Voici quelle fut la ruine de la ville de Raphanie : le roi et le comte ayant assiégé pendant dix-huit jours, avec une très grande vigueur, les Sarrasins renfermés dans la place, et leur lançant des pierres au moyen de leurs machines, ceux-ci furent forcés de se rendre, et se retirèrent sans autres dommages. Cela arriva le dernier jour de Mars.
    C'est comme cela que le dit comte de Tripoli prit possession de cette ville, et y mit des munissions. Le roi retourna à Jérusalem.

    Dans ce pays, comme le rapporté Josèphe, coule au milieu, entré Archas et Raphanie, un fleuve où s'opère un prodige particulier ; car, au moment où il coule roulant beaucoup d'eau et d'un cours peu rapide, tout à coup, pendant six jours, ses sources manquent, et il laisse son lit à sec ; ensuite, le septième jour, on le revoit de même qu'avant, comme s'il ne s'était opéré aucun changement, et on a remarqué que ce phénomène se produit constamment. C'est pourquoi ce fleuve a été appelé Sabbat, du jour sacré des Juifs, qui est le septième.

    Le prince Titus s'étant arrêté quelques jours à Beyrouth, et ensuite s'en retournant en célébrant de magnifiques spectacles dans toutes les villes par où il passait, à la vue de ce fleuve, si digne par sa nature d'être connu, fut saisi d'une grande admiration.

    Le même historien rapporte une autre merveille ; il dit qu'il y a près de Saint-Jean d'Acre ou Ptolémaïs une petite rivière qui coule presqu'à deux stade de cette ville, et qu'on appelle Belée.
    [Près de ce fleuve très étroit est le tombeau de Memnon, digne de la plus grande admiration. Memnon : Fils de Tithonos et d'Eôs (l'Aurore), Memnon était un héros légendaire des Grecs qui crurent le reconnaître dans l'un des deux colosses situés de part et d'autre du grand temple funéraire d'Aménophis III, dans la Thèbes occidentale. Taillés chacun dans un seul bloc de grès, ces deux colosses, hauts de plus de quinze mètres, se trouvaient sur un socle de deux mètres ; le roi est représenté assis accompagné de la reine (...)]

    Il avait la forme d'une vallée ronde, et lançait du sable transparent. Ce lieu avait été vidé de son sable par un très grand nombre de barques, et les vents apportait des buttes voisines le sable, si bien qu'il retrouvait son état d'origine. De plus, ce lieu change aussitôt le métal en verre qui est plongé dans ses eaux. Ce qui me parait le plus étonnant, c'est que le verre est changé en sable et est rejeté sur les bords du fleuve.

    Pâques à Jérusalem année 1126

    Comme nous célébrions les jours de Pâques, des pèlerins arrivés en cette ville nous apprirent que l'empereur des Romain était mort (Henri II du Saint Empire), et ajoutèrent que Lothaire de Supplinbourg, duc de Saxe, avait été élevé au trône royal en 1125 (et empereur en 1133).
    Peu de temps s'était écoulé après ces évènements, lorsque le roi sortant de Tyr partit pour la basse Syrie, emmenant avec lui me partie de ses chevaliers et laissant les autres. Quoique des hommes d'armes l'eussent informé que les Babyloniens, préparés à la guerre, allaient marcher contre lui, il était à propos qu'il se hâtât d'arriver auparavant dans l'endroit où il apprenait que les ennenis devaient l'attaquer.
    Comme des sangliers enveloppés par des chiens et pressés par beaucoup de morsures, il fallait que les nôtres fissent des efforts pour se défendre à droite et à gauche en frappant du pied.

    Nous avons coutume de dire proverbialement ; « Où tu soufres il faut y porter la main » ; mais ayant que le roi fut parvenu en cet endroit, les Turcs avaient assiégé et pris par force une espèce de château.

    Ce château, fâcheux pour les Turcs était pour nous d'une grande utilité ; Les chevaliers s'en échappèrent pendant la nuit par une ruse très adroite, et y laissèrent leurs femmes et leurs enfants, aimant mieux sauver une partie que de perdre le tout.

    Juillet 1126 passage de la comète

    Dans l'été, au milieu du mois de juillet, commença à apparaître entre l'orient et le nord une comète qui, naissant avant l'aurore, lançait ses rayons vers la neuvième heure et brillait d'une faible lumière.
    Pendant douze jours nous nous empressâmes de la regarder, nous en remettant au Créateur de toutes choses pour ce quelle présageais.

    Les Turcs, parmi lesquels Borsequin était le plus puissant, assiégèrent une ville appelée Cérèpe ; mais à la nouvelle de l'approche du roi, qui déjà les poursuivait, frustrés de leurs espérances, ils se retirèrent dans des lieux plus sûrs pour leur défense.
    En effet ils n'étaient plus que six mille chevaliers. C'est pourquoi le roi s'en retourna à Antioche.
    Cette année les Babyloniens ayant réparé et rassemblé leur flotte, mirent à la voile, et, poussés par le vent du midi, entrèrent dans, la terre des Philistins, après avoir passé devant Phare, Mialaris, Gaza, Ascalon, Joppé, Césarée, Ptolemaïs, Tyr et Sidon, et arrivèrent jusqu'à la ville de Beyrouth, allant à la découverte et dressant des embûches sur les bords de la mer, expiant et guettant de port en port pour trouver une occasion favorable de faire du mal aux Chrétiens.
    Comme ils manquaient d'eau douce, ils furent obligés de se retirer à sec, afin d'emplir leurs sceaux aux ruisseaux et aux sources, et d'apaiser leur soif ; mais les citoyens de Baryte ne leur en voulant pas donner la liberté, s'avancèrent sur-le-champ contre eux avec une grande intrépidité.
    Des voyageurs qui étaient par hasard accourus en cet endroit s'étant joints, à eux, et le combat s'étant engagé, enfin cent trente de ces pirates furent renversés à terre et tués ou blessés à mort. Ceux d'entre eux qui s'étaient avancés pour combattre, étaient au nombre de cinq mille, sans compter ceux, qui, pendant ce temps, gardaient les vaisseaux dont il y avait vingt-deux à trois rangs de rames, dits quelquefois « chats » ; les autres se montaient à cinquante-trois.
    Ainsi ces gens inaccessibles à la pitié et sans miséricorde pour ceux dont ils s'emparaient, faisaient, peser leur cruauté sur notre nation. Mais, grâce à Dieu, ils ne purent remporter ici aucun avantage ; car nos chevaliers les culbutant avec leurs lances, et nos archers avec leurs flèches, les contraignirent avec un courage inconcevable de s'enfuir vers la mer. Aussitôt, mettant à la voile, ils se mirent en mer, et se dirigèrent vers Tripoli et de là vers Chypre.

    Combien de fois cette année des envoyés ou des pèlerins nous annoncèrent et rapportèrent-ils l'arrivée du jeune Bohémond parmi nous !
    Mais tous ces bruits étaient mensongers ; car Bohémond était en crainte a cause de la flotte des Babyloniens où pirates qu'il apprit être dispersée au large dans la mer. De plus il avait encore de grandes inquiétudes au sujet de sa terre, qui lui aurait été traîtreusement enlevée par de mauvaises gens occupés de lui tendre des embûches, s'il ne l'eût placée entre les mains de ses fidèles.
    Il est écrit dans les proverbes des paysans : « Mauvais voisin est un fléau dès le matin »

    Septembre 1126 Bohémond arme sa flotte

    Enfin, après avoir fait souvent les préparatifs de son voyage, Bohémond rassembla à Otrante, ville de la Pouilles, tous les vaisseaux qu'il put, à savoir, vingt-deux dont dix vaisseaux longs, et tous munis de rames, et commença à se mettre en mer !
    Il confia sa terre au duc de Pouilles, qu'il créa son héritier en cas qu'il vînt à mourir le premier. Le duc fit volontiers la même disposition et concession à son égard, en cas que lui-même mourut en premier ; cela ce fit en présence et du consentement des grands de part et d'autre. C'est pourquoi, au milieu de septembre, Bohémond fendant les ondes, après avoir passé les Cyclades, répandues ça et là dans la mer, vint à Mitylène.
    Ensuite il passa par Rodhes, la Pamphilie et la Lucie.
    Souvent les gouffres d'Italie épouvantent les navigateurs.
    De là, il passa par la petite Antioche, ensuite par la grande, par l'Isaurie et la ville de Séleucie.

    Quand Bohémond débarqua à Antioche en octobre 1126, il venait de perdre sa mère, la princesse Constance de France. Il s'était embarqué d'Otrante à la mi-septembre, avec une escadre de vingt-quatre navires, il accosta à Séleucie-du-Piérus à l'embouchure de l'Oronte. (Séleucie-du-Piérus ou Saint-Siméon, aujourd'hui Qalat-Semaan, le port d'Antioche). Sources : Hodierne de Rethel

    Les marchands de Pise, Gênes ou Venise avaient déjà obtenu des privilèges des états latins ; la position des Génois s'était particulièrement renforcée sur la côte syro-palestinienne, notamment dans les ports de Saint-Siméon (port d'Antioche), Laodicée (Lattakieh) et Acre.
    Après avoir laissé Chypre à sa droite, il laissa à sa gauche Tarse et la très fameuse ville de Mélot, déjà depuis longtemps saccagée.

    Foulcher de Chartres, diserte sur les dangers de la navigation

    Dans ce temps, certains bouffons et hâbleurs, arrivés nouvellement de la mer, nous affirmèrent que Bohémond était arrivé à Antioche, aussi sur que nous nous étions dans Jérusalem ; mais ce rapport était faux.
    Ils le croyaient par-ce qu'ils étaient venus jusqu'à Pathare avec quelques-uns de ses chevaliers et les éperviers, les chapons, les oiseaux et les chiens qu'ils envoyaient devant.

    Souvent, par la volonté et la permission de Dieu, de grands troubles tourmentent ce qui navigue sur la mer. Tantôt l'ancre se rompt, tantôt l'antenne, les banderoles ou les câbles sont brisés. On regarde aux voiles pour reconnaître les changements de vent, et savoir avec certitude si l'on avance heureusement. Il faut prendre garde de s'engager dans la nuit ; car lorsque les nuages couvrent les étoiles, si la pointe du vaisseau vient à heurter, on est aussi tôt menacé du danger de la mort ou d'un naufrage. On court sur mer des dangers comme sur terre. Pourquoi nous étonnés que de telles choses nous arrivent, lorsque nous nous rappelons le naufrage de l'apôtre Paul ?

    Les pilotes jetèrent une sonde pour sonder la profondeur du gouffre ; et si saint Paul n'eût eu, dans l'extrémité où il était, une vision d'anges pour le consoler, c'en était fait de sa vie.

    Les vaisseaux courent ordinairement beaucoup de dangers dans le gouffre d'Italie. Les vents qui soufflent de tous côtés, se précipitant des montagnes dans les vallées, tournent dans des sinuosités souterraines, et tourbillonnent dans le gouffre. Que si quelquefois les matelots rencontrent un pirate, ils sont pillés et défaits impitoyablement ; mais ceux qui souffrent ces tourments pour l'amour de Dieu seront-ils frustrés des largesses qui leur sont promises ?

    Disons quelques mots de notre mer. Il ne faut pas omettre, la Méditerranée dont elle est formée. On pense que ces mers ont leur source au détroit de Cadix, et qu'elles ne sont formées que par les écoulements impétueux de l'Océan, Ceux qui sont d'un avis contraire disant que toutes ces eaux sortent du Bosphore de Thrace ; ils appuient leur opinion par un argument assez solide, c'est que les flots qui coulent du Bosphore réprouvent jamais de reflux.

    Louange et honneur donc au Créateur de toutes choses, qui a assigné des bornes à la mer, lui a opposé des barrières et ouvert des portes, et lui a dit : « Tu viendras jusque-là, et tes flots se replieront sur toi. »

    Dès que les ondes impétueuses sont brisées sur le rivage, elles bouillonnent en écume et sont repoussées par les frêles barrières du sable. En effet, sans la défense de la loi céleste, qui s'opposerait à ce que la mer Rouge, traversant les plaines de l'Egypte, situées dans de très basses vallées, n'allât rejoindre la mer d'Egypte ?

    Cette vérité est encore prouvée par ceux qui ont voulu réunir et confondre ces deux mers. L'Egyptien Sésostris fut le premier de ceux qui l'essayèrent, et Darius le Mède, fier de sa haute puissance, voulut exécuter ce qu'avait tenté en vain un habitant même du pays. C'est ce qui prouve la plus grande élévation de la mer Indienne à laquelle tient la mer Rouge, et fait voir que la mer d'Egypte est plus basse. Peut-être en est-il ainsi afin que la mer ne s'étende pas plus au large, ce qui arriverait si elle tombait d'un lieu élevé dans un autre plus bas.

    Les deux rois renoncèrent à leur entreprise. C'est là ce qu'on voit dans l'Hexameron d'Ambroise ; On trouve autre chose dans Solin. Les oeuvres de Dieu sont admirables ; mais bien plus admirable encore est celui qui les a faites et disposées. Que si quelque chose paraît difforme à notre vue, nous ne devons pas moins louer le souverain Créateur de l'avoir fait ; bien plus, ce n'en est peut-être pas moins utile. Dieu dans un crime donne un remède : il a mis la ruse dans le polype et dans le hérisson ; il a donné au serpent la malice. Quelquefois ces animaux offrent un remède, d'autres fois ils causent la maladie et même la mort ; quelquefois ils sont utiles, d'autres fois ils nuisent ; puisqu'on dit que l'antidote Tyrien se fait avec le corps d'un serpent, certainement le venin et le corps d'un serpent pris seuls peuvent faire du mal ; mais lorsqu'on les mêle à d'autres matières ils sont salutaires et favorables à la santé.

    Bestiaire fantastique par Foulcher de Chartres

    Le basilic a un demi pied de longueur ; blanc comme une mitre, il à la tête marquée de lignes ; nuit non seulement aux hommes où aux, autres animaux, mais aussi à la terre qu'il corrompt et consume. Partout où il est, sa retrait est fatale ; il détruit les herbes et fait périr les arbres. Il corrompt même l'air, au point qu'aucun oiseau ne vole impunément dans un air infecté de son souffle pestilentiel. Lors qu'il marche, la miotié de son corps rampe, l'autre est droite et haute. Les serpents même frémissent à son sifflement, et lorsqu'ils l'entendent ils se hâtent de fuir dans quelque lieu que ce soit. Une bête féroce ne le dévorerait pas, un oiseau ne toucherait pas tout ce qu'il a mordu. Il est cependant vaincu par les fouinés que les hommes mettent dans les trous où ils se cachent. Enfin les gens de Pergame ont attaché les restes d'un basilic à un grand voile pour en couvrir un temple d'Apollon, remarquable par la main d'oeuvre y afin que les araignées n'y pussent faire leur toile, ni les oiseaux y voler.

    L'un des animaux fabuleux du Moyen age était le basilic, roi des serpents à tête de coq et queue de reptile, né d'un oeuf de poule couvé par un crapaud. Mais dans certaines régions comme le Cantal, on disait que la bête ne pouvait naître que de l'oeuf d'un coq pondu à la Saint-Sylvestre... autant dire qu'on n'en voyait pas souvent !
    Ce serpent géant ne sortait que les nuits sans lune. Si l'on rencontrait le basilic au creux d'un vallon, c'était la mort assurée : le basilic tuait l'égaré d'un coup de bec et le dévorait. Il paraît que c'est à Loudun qu'on tua l'un des derniers basilics, à la fin de la guerre de Cent Ans.
    L'amphisbène a deux têtes, dont la seconde est à l'endroit de la queue.
    Les cérastes ont quatre, petites cornes ; ils tendent des pièges aux oiseaux en leur montrant ces cornes qui ressemblent à de la nourriture, et les tuent, car-ils couvrent habilement de sable le reste de leur corps.
    L'hémorroïde fait sortir le sang par sa morsure, et rompant les veines, tire avec le sang la vie de l'animal.
    Le « prester » s'étend sur celui qu'il frappe, et l'étouffe par son énorme corpulence, souvent le corps de ceux qu'il frappe enfle et pourrit. Il y a aussi les « himodites », la « chenchère », sorte de couleuvre, les « médragons » ; enfin il y a autant d'animaux pernicieux qu'il y a d'hommes.
    Les scorpions, les « scinques" les lézards sont rangés parmi les vers plutôt que parmi les serpents. Lorsque tous ces monstres, sifflent, leurs blessures sont moins dangereuses. Ils ont des passions, et risquent tout pour s'approcher de leurs femelles.
    Il y a des « jacules » qui percent tout animal que le sort leur fait rencontrer.
    Le « scitale » a le dos varié d'une manière si brillante, que la beauté de ces taches arrête ceux qui le voient.
    Le « dipsade » cause une soif dont on périt.
    Le « sippiale » fait périr par un engourdissement ceux qui le regardent, et brûle jusqu'à la mort. Il en est d'autres dont le virus, que rien ne peut guérir, fait mourir de faim.
    On ne doit pas moins admirer ces merveilles que celles AIexandre-le-Grand vit dans l'Inde, et dont il parle ainsi dans une lettre adressée à son précepteur Aristole et à sa mère Olympias : « Je n'aurais pas cru qu'il y eût tant de merveilles, si je ne les avais prises et examinées de mes propres yeux. » Ce roi fut vraiment et complètement grand, habile et prudent dans ses affaires, et puissant par sa grandeur et sa vaillance ; il n'était pas comme la plume qui vole, ni comme la paille qui flotte.

    L'attente de Bohémond en cette année 1126

    Comme Bohémond, malgré notre attente, s'était mis en route tard cette année, nous croyions qu'il n'avancerait pas plus loin, et ainsi nous l'avait fait craindre le bruit public. Mais comme, selon la parole du prophète, les voies de l'homme ne sont pas à sa disposition, et que ce n'est pas lui, mais le Seigneur qui dirige ses pas, un faux bruit avait éveillé nos craintes. Il n'arrive pas, en effet, ce que la volonté humaine soutient, mais ce que Dieu souverain arbitre juge convenable aux mérites des humains. Le roi manda donc, et fit savoir par une lettre aux gens de Jérusalem que Bohémond était déjà arrivé à Antioche : ce qui fit à tous beaucoup de joie. Nous louâmes tous Dieu qui l'avait amené sain et sauf.

    Déjà le soleil était couché, et il faisait nuit lorsqu'il entra dans le port. Le roi alla au devant de lui en grande et solennelle procession du peuple qui chantait des louanges, et le reçut avec joie. Après une courte conférence, le roi lui donna sur-le-champ une de ses filles en mariage avec toute sa terre. Voilà le beau-père et le gendre, l'un père, l'autre fils ; qu'ils se chérissent tous deux, et tous deux en deviendront plus puissants. On fit les apprêts de la noce, qui fut accomplie.

    Bohémond devenu prince était assis sur son siège, revêtu d'un superbe manteau, au milieu de tous ses grands, qui lui avaient juré fidélité et soumission comme ses hommes, en présence et avec la faveur du roi, et promis de le servir désormais à compter de ce jour.

    Après cela, le roi retourna à Jérusalem. Le Scorpion commençait à briller au milieu des astres du ciel, lorsque Bohémond fut reçu dans le royaume d'Antioche, ce temps était celui où le cercle de l'année allait rétrograder et recommencer.

    1127 Année pestilentielle, la sécheresse, la mort

    L'an de la Nativité du Seigneur 1127, il y eut dans le pays de Palestine une si immense multitude de rats, que se jetant sur les fesses d'un boeuf, ils le mangèrent tout entier, l'étouffèrent et le dévorèrent avec sept moutons.
    Enfin, après avoir pendant longtemps ravagé le territoire d'Accon, cherchant de l'eau, ils grimpèrent sur les montagnes de Tyr.
    Ensuite on vit s'élever un vent pestilentiel, et un horrible déluge de pluie qui en repoussèrent d'innombrables milliers dans les vallées voisines.
    La puanteur de leurs cadavres infecta tout le pays.

    Année 1127, la mort de Foulcher de Chartres

    Cette année là fut la fin de la vie de Foulcher de Chartres. Nous ne savons pas où il est mort, à Jérusalem très probablement, mais nous en avons aucune certitude.

    Né en 1059 très probablement à Chartres, Foulcher de Chartres partit pour la première croisade avec Etienne, comte de Blois. Pendant la route, Baudouin Ier, comte d'Edesse et futur roi de Jérusalem, l'engagea pour être son chapelain.

    Foulcher, devenu chanoine du Saint-Sépulcre, vécut et écrivit au milieu des agitations des pèlerins, toujours assiégés dans leur conquête.

    Qui pourrait ne pas admirer comment nous, peuple de rien, au milieu de tant de royaumes ennemis, nous avons pu non seulement leur résister, mais même exister ? Une vaste mer nous séparait de la Chrétienté et nous renfermait, si Dieu l'eût permis, entre les mains de nos bourreaux ; mais le bras vigoureux de Dieu nous défendait miséricordieusement.
    Sources : Textes de Foulcher de Chartres - Collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France ; Editions J-L. J.Brière, Librairies : Paris 1825

    Prise de la ville d'Antioche

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