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Études réalisées sur les Templiers

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Histoire de l'Ordre du Temple

Première partie — Acte des Templiers
Les chrétiens d'Europe avaient résolu d'arracher aux Sarrasins le pays, justement appelé la Terre-Sainte, où Jésus-Christ avait vécu, fait ses miracles et prêché la vraie religion. Des légions de fidèles allèrent en Palestine et revinrent dans leurs foyers après le carnage, laissant en proie à de grands embarras ceux de leurs frères qui s'étaient établis parmi les mécréants, et qui souffrirent de cruelles persécutions dont les pèlerins faisaient le plus affligeant tableau. Ces malheureux implorèrent le secours de leurs coreligionnaires; on se passionna pour leur délivrance, et telle fut l'origine des croisades. L'empereur Henri IV conçut le plan de la première expédition à Mayence, en 1103 ; par ses ordres, Eginhard, évêque de Wurtzbourg, parcourut l'Allemagne pour enrôler des croisés, en sorte que ce prince prépara la création des ordres militaires [1].

Il est souverainement injuste de méconnaître ces causes qui déterminèrent les croisades, et d'en chercher l'explication dans la politique astucieuse d'un pape. Défendre des chrétiens opprimés, disputé aux infidèles des lieux qu'entourait une pieuse vénération, c'étaient là des motifs assez puissants pour un siècle de foi, qui d'ailleurs brûlait d'une ardeur chevaleresque. A cette époque, où la religion et l'amour précipitaient de commun accord toutes les âmes généreuses dans les hasards de la guerre, la Terre-Sainte ouvrait un champ glorieux à des activités dévorantes. Le pardon des péchés attachait une séduction de plus à ces nobles entreprises, et tout se réunissait pour entraîner les peuples d'Occident à la conquête de la Palestine.

Ces saintes confréries, ces associations où tous exposaient ensemble leurs biens et leur vie, se dissolvaient au retour. Par une progression naturelle d'idées, puisque tout chevalier se dévouait à la protection des opprimés, l'on s'avisa, pour défendre la Terre-Sainte et spécialement les pèlerins, de fonder une chevalerie permanente. Successivement, plusieurs Ordres s'élevèrent. L'institution de Saint-Lazare enfanta les Hospitaliers [2] qui furent bientôt suivis des Frères du Temple, et l'Allemagne eût à son tour un Ordre National. Dans l'origine, les Frères de Saint-Lazare n'avaient d'autre occupation que de recueillir les pèlerins et de soigner les malades ; mais en 1118 Raymond Du Puy leur persuada de prendre les armes contre les infidèles. La fondation du Temple date de la même année.

Jusqu'alors les pèlerins avaient été sans défense dans leurs courses périlleuses. Neuf chevaliers français allèrent, en 1118, combattre pour la Croix et les pèlerins à Jérusalem. L'histoire a conservé les noms de leurs deux chefs, Hugues de Payens et Godefroy de Saint-Aldémar. Ils arrêtèrent le plan de fondation et les Statuts de l'Ordre, dont Hugues de Payens fut le premier Grand-Maître.

I — Hugues de Payens
Le monde chrétien manifesta la plus vive joie à la nouvelle des résolutions prises par Hugues de Payens et Godefroy de Saint-Aldémar qui firent entre les mains d'Etienne, Patriarche de Jérusalem, outre les trois vœux ordinaires des réguliers, vœu de pauvreté, de chasteté, d'obéissance, celui de protéger les pèlerins.

Baudouin II régnait alors dans Jérusalem, dont la conquête avait été le fruit de la première croisade. Ce prince embrassa chaudement les projets du nouvel Ordre ; il lui désigna, près du Temple de Salomon, une demeure qui valut à ses membres le nom de Templiers.
Le Grand-Maître Hugues de Payens était certainement un homme supérieur; toute sa vie témoigne d'un jugement sûr et d'un courage indomptable. A lui seul revient la gloire de sa détermination ; car, en s'inspirant de l'esprit chevaleresque de son siècle, il n'aurait pu devenir qu'un croisé dont le nom fût tombé dans l'oubli, comme ceux de tant d'autres nobles et braves Seigneurs. Son vaste génie posa les bases d'une société. C'était grand de s'armer avec huit soldats contre des légions sans nombre ; de s'offrir, sous un ciel d'airain aux coups d'un ennemi qui tenait les yeux ouverts sur son entreprise et qui pouvait l'étouffer à jamais, dès le premier combat, dans le sang de sa poignée de braves.

Ces hommes ne demandèrent ni renforts, ni subsides ; aucune récompense, aucune prébende ne les attendait. Ils ne pouvaient espérer que des aumônes qu'ils reçurent effectivement. Une œuvre de bravoure ou de piété trouvait toujours la bienfaisance prête ; mais les dons étaient faibles aux prix des dangers.

L'institut d'Hugues fit sensation. On le crut salutaire à la cause, et l'on souhaita son affermissement que la force d'un Ordre privé garantissait mal. Il fallait que la sympathie publique revêtit le caractère d'une assistance durable. Les quatre vœux prêtés au Patriarche de Jérusalem étaient insuffisants, tant que l'Église n'avait point sanctionné les Statuts et fixé le costume des Frères du Temple. Pendant dix années, ils vécurent d'après leurs propres lois, vêtus et nourris par la charité chrétienne, si pauvres, qu'ils montaient à deux le même cheval, comme le rappelle encore l'emblème de leurs armes.

Convaincu qu'en dépit de la faveur populaire il ne pourrait subsister de la sorte avec sa confrérie, Hugues fit un appel au pape Honorius II qui, sur ses instances, assembla le concile de Troyes (1128). Le Grand-Maître et six Chevaliers comparurent devant les plus hauts dignitaires de l'Église, sous les haillons de la misère, et dès-lors ils furent appelés les pauvres Chevaliers du Temple, ou les pauvres Frères. Le Pape et le Patriarche Etienne leur donnèrent un costume, et le célèbre Abbé de Clairvaux, Saint-Bernard, entreprit la composition de leur règle. Du Puy pense que la règle des Templiers que nous possédons n'est qu'un abrégé de cette règle authentique, et Natalis allègue des raisons assez plausibles pour démontrer que la première est une altération.

La règle qui leur fut donnée à cette époque modifia partiellement les statuts primitifs de la société, qu'Hugues lut au Synode, et qui furent débattus par l'assemblée. Indépendamment des observances religieuses, nous remarquons dans la nouvelle législation du Temple les préceptes suivants.
Tous Chevaliers [3] ayant fait profession portent des robes blanches, de longueur moyenne. Les robes usées reviennent soit aux Écuyers et Frères-Servants, soit aux pauvres.
Les robes blanches que les Écuyers et Servants portaient dans l'origine, sont remplacées par des robes noires ou grises.
Les Chevaliers seuls portent des robes blanches.
Chaque Chevalier a trois chevaux, la pauvreté ne permettant pas d'en tenir davantage.
Chaque Chevalier n'a qu'un Écuyer qu'il ne pourra frapper s'il le sert gratuitement.
Nul ne peut sortir, écrire ou lire des lettres sans l'autorisation du Grand-Maître.
Les Chevaliers mariés habitent à part et ne portent point de chlamydes ou de robes blanches.
Les Chevaliers séculiers qui désirent être admis au Temple seront mis à l'épreuve, et lecture de la règle leur sera faite avant leur Noviciat.
Le Grand-Maître choisit son chapitre parmi les Frères; dans les cas majeurs qui concernent l'Ordre ou l'admission d'un Frère, tous peuvent être appelés au chapitre, si telle est la volonté du Chef.

On trouve dans les écrits de Saint-Bernard une exhortation aux Templiers qu'il a sans doute prononcée vers le même temps. Ce bon religieux, zélé jusqu'au fanatisme pour la défense de la Terre-Sainte, vit avec une grande satisfaction les progrès naissants de l'Ordre. L'éloquence de Saint-Bernard était habituée à vaincre les doutes et les hésitations ; à sa parole, rois et princes accouraient pour recevoir de lui la sainte Croix. On admirait, non moins que les dons de son esprit, sa vie austère et pieuse, si différente de la vie commune. Il regarda la résolution des Chevaliers du Temple comme une grâce particulière de Dieu. Dans une lettre au Patriarche de Jérusalem, il lui recommandait de songer à ces Frères qui combattaient pour l'Église, et de leur ouvrir son cœur et sa pitié [4]. Quand le comte Hugues de Champagne fut entré dans la Sainte Milice, « ce gentilhomme reçut les félicitations de l'Abbé de Clairvaux. »

Pendant les dix premières années de son existence, l'institution ne compta que neuf membres ; mais du jour où le Souverain Pontife l'eût régularisée, elle fit de nombreuses admissions et devint propriétaire de biens considérables. Dans la suite, elle eut souvent jusqu'à trois cents Chevaliers, outre les Frères qui formaient des Convents séparés.

En cette même année (1128), le Grand-Maitre se rendit en Normandie auprès du roi d'Angleterre, Henri Ier, qui le reçut avec courtoisie et le combla de présents. Hugues lui dit l'histoire de son jeune Ordre et le sort des chrétiens en Palestine : il parla si bien que le monarque ouvrit ses trésors et l'envoya dans son royaume, où les notables l'accueillirent à bras ouverts. En Ecosse, comme en Angleterre, il amassa de nombreuses aumônes; on lui remit de plus une forte somme destinée aux pèlerins de Jérusalem. Le Grand-Maître rassembla tous les artifices de la parole pour inviter les Anglais à venir visiter cette ville et défendre la Terre-Sainte contre les Sarrasins. Dans le feu du discours, il avança que les chrétiens et les infidèles s'étaient heurtés dans une grande bataille ; et, quoique rien ne prouve à l'évidence qu'il ait donné la victoire aux chrétiens, nous savons qu'un blâme sévère le frappa quand on apprit que la nouvelle était controuvée. Une multitude d'Anglais, plus nombreuse encore que celle qui s'était embarquée à la première expédition, sous Urbain II, accompagna Hugues, ou le suivit de près; mais la déception qu'ils rencontrèrent les plongea dans un abattement profond.
Hugues séjourna quelque temps en Angleterre et trouva tous les esprits bien disposés pour son Ordre. Le roi fit construire une Maison [5] à Londres, et décréta (1130) que ses restes y seraient déposés.
Ce n'est qu'en 1130 que nous retrouvons le Grand-Maître en Syrie avec l'argent qu'il avait rapporté d'Europe. Pour son bonheur et celui de l'Ordre, ils eurent des commencements assez calmes et purent s'organiser, s'affermir et s'étendre en paix. Selon toute apparence, Hugues fit son occupation unique du perfectionnement de sa société; partout il trouva la sympathie et l'appui des souverains et des peuples.
Les historiens passent sous silence le reste de ses aventures et ne disent pas un mot de la fin de cet homme, célèbre. Robertus de Monte s'exprime ainsi sur le prodigieux accroissement du Temple : « La Milice du Temple de Jérusalem et les Frères-Hospitaliers vivaient dans l'abstinence; ils se répandirent et se multiplièrent de toutes parts, en secourant les pauvres par leurs propres ressources ou par celles des personnes charitables. Ces Ordres fondèrent des Cloîtres avec les terres, prairies et forêts qu'ils obtenaient du sacerdoce et du temporel à titre de dons volontaires [6]. »

Les premiers Frères du Temple avaient leur part dans les aumônes des Hospitaliers. Un institut qui répondait si bien aux exigences de l'époque renfermait tous les éléments du succès.

II — Robert dit de Bourgogne
Robert, comme Grand-Maître, apparaît la première fois dans les chroniques en 1140, et la dernière fois, en 1147, période malheureuse pour le christianisme d'Orient. Au roi Foulque d'Anjou venait de succéder Baudouin III, mineur, âgé de treize ans, sous la tutelle de sa mère Mélisande (1142). Pendant que les petits princes chrétiens d'Asie se disputaient entre eux, le sultan d'Alep et Mossoul Nourreddin défirent Josselin, comte d'Edesse. Dans ces graves occurrences, la Palestine implora le secours de l'Europe, et le pape Eugène III fit prêcher la croisade (1145). Saint-Bernard déploya toute son éloquence : Conrad, roi de Rome, et Louis VII, roi de France, reçurent la Croix de ses mains (1146).

Entretemps, l'Ordre multipliait et s'enrichissait de jour en jour. Godefroy, duc de Lorraine, le dota de très-beaux revenus dans le comté de Brabant (1142) [Du Puy, p. 112]. Il fit surtout de grands progrès en France, en Provence et en Espagne. Dès 1143, la France avait sont Grand-Maître Eberhard ; le trône magistral de la Provence et d'une partie de l'Espagne était occupé par Pierre de Rovera, comme on le lit dans une curieuse charte de cette année [Du Puy, p 104].

Raymond Bérangar, comte de Barcelone, dont la père avait été Frère-Chevalier de l'Ordre, voulut céder son château de Monçon et ses dépendances au Grand-Maître Robert, sous condition qu'il y fonderait une chevalerie d'Aragon, d'après la règle des Templiers, pour faire la guerre aux Maures. Après de longues négociations avec le Grand-Maître et le chapitre de Jérusalem, Bérengar établit à Monçon un bailliage particulier. La charte de cette fondation fut confiée aux deux Grands-Maîtres provinciaux, et l'on y nomme plusieurs Frères qui sont vraisemblablement les premiers tenants de la nouvelle propriété.

De même que les souverains s'empressaient de doter le Temple, de même que le Saint-Siège lui prodiguait des privilèges spirituels. Eugène III permit aux Templiers de dire une fois par an la messe dans les lieux frappés d'interdit [Du Puy, p 110]. Ce pape fit encore une importante addition à leur costume. En 1146, il orna les habits de l'Ordre d'une croix octogone de drap rouge que portèrent non seulement les chevaliers, mais aussi leurs Ecuyers et Servants.

III — Eberhard des Barres
Sous Eberhard des Barres, le successeur de Robert, eut lieu la grande expédition nommée la neuvième croisade. Son gouvernement semble avoir duré de 1147 à 1150.
Allemands et Français brûlaient de concourir à la défense de la Terre-Sainte. Des rois, des princes, des évêques s'étaient croisés. La victoire devait récompenser ce zèle religieux et chevaleresque, et justifier les prédictions de Saint-Bernard.
Cent mille Allemands partirent après Pâques, suivis, en juillet, de deux cent mille Français (1147). De telles armées auraient pu conquérir la moitié de l'Asie ; elles ne conquirent pas une cabane. Tout vint en aide à leurs ennemis. L'indiscipline naquit de la témérité; les Grecs, qui jalousaient les Allemands, les livrèrent au sultan Mousad. Ils durent se replier sur Constantinople et gagner par un détour la Terre-Sainte où les joignit Louis VII. Les rois d'Allemagne, de France et de Jérusalem, réunis sous les murs d'Acton, le 25 mai 1148, mirent le siège devant Damas, qu'ils ne purent réduire. Cet échec est diversement expliqué par les historiens ; il faut à coup sûr l'attribuer au vice du plan de campagne.

Aucuns prétendent que Baudouin III, sur les faux conseils de certains Syriens vendus aux assiégés, se dirigea du côté de la place qu'ils lui disaient être le plus faible, et que les Damasquins, ayant surpris et fortifié son camp désert, lui coupèrent le passage et l'eau.
Suivant d'autres, Baudouin aurait exigé de la ville une rançon, payable en cuivre ; Louis aurait imité son exemple, et, déjà faible par lui-même, Conrad aurait dû les suivre.
D'autres rejettent la honte de cette action sur les Templiers qu'ils accusent de s'être mis à l'avant-garde pour mieux trahir les Croisés, comme si le premier coup ne leur revenait pas de droit.
D'autres enfin incriminent à la fois les Frères du Temple et ceux de l'Hôpital.
Si les Templiers avaient été coupables, tous les princes et les prélats de l'armée auraient élevé la voix contre ce corps, au lieu de le combler d'éloges et de nouveaux dons. Baudouin, par imprudence ou par trahison, fit certainement manquer le siège.
Les Croisés se retirèrent avec perte, sans autre consolation que celle d'avoir vu les Lieux Saints. Une clameur générale poursuivit Saint-Bernard, dont l'événement démentait les prophéties. Il rejeta ce revers sur l'impiété des soldats de la Croix.
Conrad revint avant Louis, qui voulut encore passer les fêtes de Pâques à Jérusalem (1149).
L'Ordre du Temple se conduisit exemplairement dans cette campagne, et mérita des biens et des privilèges nouveaux, comme on le voit par deux lettres que Louis écrivit à l'abbé Suger, auquel il avait confié le gouvernement pendant son absence (1148). Ces lettres réfutent complètement l'injuste accusation portée contre les Templiers : « Je ne puis vous décrire, dit le roi, leur bonté pour nous, ni comme, moi-même et mes gens, ils nous ont accueillis et traités. Sans eux, je ne sais comment j'aurais subsisté. — Louis ordonne ensuite à son ministre de rendre aux Chevaliers de grandes sommes que leur Ordre avait empruntées pour les lui prêter.
Dès lors le Temple comptait des ennemis en France, où son accroissement éveillait de vives jalousies. Le roi s'en plaint comme d'un outrage personnel, et recommande à l'abbé Suger d'y veiller.
En 1149, les Templiers rebâtirent Gaza, ce qui leur permit de tenter des sorties contre les habitants d'Ascalon. L'Ordre était assez fort déjà pour faire à lui seul une armée.
Les Chevaliers d'Angleterre reçurent, en 1150, de Bernard De Bailleul quelques terres qui devaient rapporter quinze livres Sterling. La donation se fit à Paris devant le pape Eugène et cent trente Frères dans le costume de l'Ordre.

IV — Hugues
En perdant la trace d'Eberhard Des Barres, on arrive à Hugues (1151 à 1153 environ) dont on ne sait presque rien. Nous ignorerions jusqu'à son nom, s'il n'était mentionné dans les Privilèges des Johannites [7], à la date de 1151.
La petite guerre des Chrétiens orientaux et des Ordres militaires contre les Infidèles durait toujours sans amener le moindre résultat.
En Sicile, Gaufride de Campiniano, Précepteur (Grand-Prieur) du Temple, obtint d'un seigneur indigène, nommé Gaufride, la confirmation d'un don considérable que le roi Roger avait fait à l'Ordre (1161) [Du Puy, p. 116].

V — Bernard de Trémelay
Bernard de Trémelay fut à la tête de l'Ordre, de 1153 à 1160 environ. De graves événements signalèrent son règne.
Baudouin IV, roi de Jérusalem, ouvrit le siège d'Ascalon (1153) [Anselm. Gemblacens]. On se battit avec acharnement. Le roi fit crouler les murs de la ville à l'aide d'une mine, ou, comme dit l'histoire, d'un artifice souterrain. Les Templiers qui, selon l'usage, étaient d'avant-garde, entrèrent hardiment dans la place à la suite de leur Grand-Maître ; mais les assiégés tombèrent sur eux en foule, dans des rues étroites où les Chevaliers ne pouvaient se développer. Il en périt quarante. Quelques auteurs assurent que le Grand-Maître fut au nombre des morts [Anselm. Gemblacens] ; d'après d'autres sources plus certaines, il fut pris par Saladin et relâché depuis à la demande de l'empereur grec Manuel [Nauclerus].

Cette fin déplorable d'une expédition commencée sous d'heureux auspices, redoubla la gène des pauvres Chrétiens de la Palestine, que les Croisés abandonnèrent à leurs propres forces [Anselm. Gemblacens, p. 971], face à face avec des légions d'ennemis. Pas d'espoir de secours du côté de l'Europe où tant de familles pleuraient encore les victimes de la dernière croisade. Pendant cette crise, Thierry, comte de Flandre, partit pour l'Orient avec quatre cents hommes et beaucoup de munitions. La royauté de Baudouin attendait le coup de grâce. Les Chrétiens associés à sa fortune tremblaient d'être expulsés de leur étroit territoire et même d'y perdre la vie; ils voyaient déjà les Saints Lieux, le tombeau de plusieurs milliers de martyrs, profanés par la domination du Croissant. Une paix onéreuse, conclue avec Noureddin, fut violée par Baudouin; aussitôt les Infidèles envahirent et saccagèrent le pays, qu'ils évacuèrent peu de temps après. Le roi donna dans le piège : quand il eut congédié ses troupes, ne gardant auprès de sa personne qu'une faible garde et les Chevaliers du Temple, il fut surpris par les Sarrasins [Robert, de Monte, p. 889], qui lui livrèrent une sanglante bataille. Six cents Chrétiens, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de Templiers, restèrent sur la place ; Baudouin se sauva par la fuite, et les débris de sa petite armée se jetèrent dans le château de Bélinas.

Thierry de Flandre arriva sur l'entrefaite; par son auxiliaire et celui de la Sainte-Croix que l'armée emporta partout avec elle et qui fut toujours sauvée, comme en 1153, au siège d'Ascalon, on força Noureddin à demander la paix. Le principal avantage que les Chrétiens retirèrent de leur victoire fut la prise du château de Cavea, qui, dans l'espace de sept années, avait coûté près de quinze mille hommes. Un comte, à la tête de quatre cents soldats, fit ainsi ce que n'avaient pu faire trois cent mille, commandés par des rois.

Le margrave Albert de Brandebourg accomplit également le pèlerinage de la Terre-Sainte (1158) et donna, dit-on, Munchenberg à l'Ordre; (1159) mais ce dernier fait manque encore de certitude.
L'histoire de Bernard de Trémelay se fond dans les événements généraux. Tout ce qu'on sait de lui, c'est qu'il fut pris devant Ascalon, et que l'empereur Manuel obtint sa liberté.

VI — Bertrand de Blanchefort
Le régne de ce Grand-Maître commença vers 1160 et finit vers 1165. Nous possédons plusieurs lettres adressées à Louis VII, roi de France, dans lesquelles il décrit la misérable situation des affaires d'Orient.
Pendant son administration, l'Église fut déchirée par une dispute entre l'empereur Frédéric et le pape Alexandre, qui mit en émoi tout le sacerdoce et jusqu'à l'Ordre des Templiers. Les actes du concile de Pavie que l'empereur assembla contre Alexandre, dans l'intérêt du pape Victor, sa créature, disent que le Maître des Frères du Temple de Jérusalem se rangea du côté de Victor, sur le Mont Aventin. On ne connaît pas l'effet que ces troubles produisirent sur le Temple; mais on sait, d'une autre part, le malheur qu'il eut en commun avec l'Église de Palestine.

A la mort de Baudouin IV (1164), son frère Amaury monta sur le trône. Ce prince, ami des Templiers, qui les recommandait spécialement à la générosité du roi de France [Du Puy, p. 118], fut invité par le sultan du Caire et d'Egypte à le défendre contre l'agression de Saladin, général de Noureddin, sultan de Damas. Amaury, séduit par la promesse de la libération des Chrétiens prisonniers et d'un tribut annuel, répondit à l'appel du monarque égyptien. Il se rendit en Egypte et confia la régence de son royaume à Raymond II, prince d'Antioche. Noureddin investit le château de Harenc, sur le territoire de Raymond, qui fut à sa rencontre avec ses gens et les Templiers; mais ils essuyèrent une déroute complète, et personne n'eut la vie sauve, hormis ceux que favorisa le hasard ou la vitesse de leurs chevaux. L'histoire ne parle plus du Grand-Maître. Amaury, plus heureux que son allié, cerna Saladin qui se rendit, et qui fut relâché plus tard.
Sous Bertrand de Blanchefort, Gaufride Fulcher est nommé comme Précepteur du Temple à Jérusalem.

VII — André
André, fils de Bernard de Montbarry et de Hunberge, était proche parent de Saint-Bernard qui l'aimait tendrement, comme l'atteste une lettre de ce Père au futur Grand-Maître [Op. S. Bernardi. Ep. 288]. L'écrivain se demande « s'il doit encore désirer le retour d'André depuis son admission à l'Ordre du Temple. — « Peut-être, s'écrie-t-il enfin, dans son enthousiasme de prophète, peut-être tu diras un jour, comme le patriarche Jacob : J'ai passé le Jourdain avec mon bâton, mais à présent je m'en retourne avec trois bandes [8].
Saint-Bernard disait plus vrai qu'il n'avait dit avant la Croisade : André fut revêtu de la dignité magistrale en 1165.
La même lettre de l'abbé de Clairvaux révèle sa pensée sur l'insuccès de la Croisade. Il dit à son ami : « Je vois tes appréhensions pour la Terre-Sainte. Malheur à nos princes ! Dans le pays du Seigneur, ils n'ont fait aucune bonne œuvre; dans les leurs, qui les revirent si promptement, leurs iniquités passent toute croyance. Ils ne sont capables que de mal et ne savent pas entreprendre le bien. »

VIII — Philippe
Philippe, possesseur de Naplouse, en Syrie, entra dans l'Ordre et devint Grand-Maître. Il s'abdiqua volontairement en 1170.
L'histoire de Philippe est inconnue, ainsi que celle de l'Institut à cette époque, sauf quelques détails sans importance, comme l'établissement d'une maison à Brunswic.

IX — Odon de Saint-Amand
Autant la vie de Philippe de Naplouse est obscure, autant celle de son successeur est célèbre et féconde en grands événements. Homme de cœur et de tête, Odon de Saint-Amand parvint aux plus hauts emplois dans le royaume de Jérusalem. D'abord maréchal, puis échanson, tous ces honneurs ne purent longtemps le séduire; il se fit admettre au Temple. Les seigneurs de l'époque résignaient sans effort de grandes dignités mondaines pour prendre l'habit et servir au dernier rang dans la hiérarchie ecclésiastique. Philippe de Naplouse possédait des terres; Odon de Saint-Amand occupait des places; l'un et l'autre s'enrôlèrent dans l'armée du Christ et montèrent au commandement suprême.

Odon régnait à peine, que Henri II dut fournir deux cents hommes d'armes, en expiation de la part qu'il avait prise au meurtre de Saint-Thomas, l'archevêque de Cantorbéry. Ces troupes furent envoyées à Jérusalem, et servirent un an sous la conduite des Chevaliers du Temple, aux dépens du roi [Du Puy, p. 123].

Ainsi les Templiers gagnaient tous les jours en considération. Le pape Alexandre III leur montra beaucoup d'intérêt et conféra de nouveaux privilèges à l'Ordre par une bulle (1172) [Rymer, acta Angl. I, p. 30], qui lui permettait d'avoir son propre clergé, dont les membres ne pouvaient faire profession qu'après un an de noviciat. Entre ces ecclésiastiques et les autres Frères, Alexandre n'établissait qu'une différence de costume : les premiers portaient des habits fermés et les derniers des habits ouverts. Les nouveaux Frères prenaient l'engagement de résider dans le Temple, de vivre en sainteté, de combattre pour le Seigneur jusqu'à la mort, et d'obéir au Grand-Maître. Tous ces vœux furent écrits dans une règle qu'ils déposèrent sur l'autel.

La bulle pontificale de 1172 autorisait encore l'Institut à bâtir dans ses Prieurés ou Maisons des Oratoires pour la sépulture des Frères ; car, disait-elle, il ne convenait pas de les mêler dans les églises publiques avec les hommes et les femmes.

En France, quelques personnes osèrent s'emparer de biens territoriaux appartenant au Temple. Les Chevaliers s'adressèrent au Pape qui, dans deux brefs spéciaux (1172), chargea Henri, l'archevêque de Reims, de mettre les spoliateurs à restitution, et lui recommanda la société d'une manière expresse.

Henri, duc de Saxe et de Bavière, conduisit beaucoup de monde à Jérusalem (1173), sans que la guerre changeât de face. L'Ordre et le roi de Jérusalem furent accusés d'avoir mis obstacle aux projets du prince allemand [Robert de Monte]. Ici les chroniqueurs nous laissent incertains sur le sort des Templiers, jusqu'à l'an 1178, où ce corps reparaît avec éclat.

Le 4 novembre, le prince d'Antioche et Philippe, comte de Flandre, investirent le château de Harenc que les Croisés avaient perdu quelque temps auparavant [Anselm Gembl]. Saladin, croyant que toutes leurs forces étaient là rassemblées, s'avança vers Jérusalem à la tête d'une armée nombreuse, pour renverser d'un seul coup l'établissement chrétien. Les Infidèles campèrent près de Rama. Quoique la peur eût exagéré leur nombre à l'infini, Saladin échoua contre l'audace du roi de Jérusalem et des Templiers qui marchèrent à l'attaque avec la Croix du Seigneur. Il prit la fuite, et ses soldats en désordre ne s'arrêtèrent qu'à Damas. Cette belle victoire fut remportée le 24 novembre.

Depuis sa fondation, le Temple avait acquis de grands privilèges ecclésiastiques, au détriment du sacerdoce séculier. A l'instar d'autres Ordres, il abusa de ses franchises et s'appropria ce qui ne lui revenait d'aucun droit. Peu satisfait de ses dîmes et du privilège d'officier une fois par an dans les églises interdites, il regardait l'interdit comme non avenu. Les Ordres séculiers réclamèrent contre les empiétements des Frères du Temple et de l'Hôpital, qui s'allaient affranchir entièrement de la suprématie épiscopale [Chronic. Gervasii]. A ces causes, le Concile de Latran (1179), résolut de mieux les maintenir dans le cercle de leurs privilèges, et le 21e canon ordonna :
Que, sans l'autorisation épiscopale, ils ne pourraient accepter églises ou dîmes des laïcs (Alexandre II, leur avait assigné des dîmes, consenties par les évêques); qu'ils ne recevraient aucune personne excommuniée par un évêque ; que les prêtres des églises qui ne leur appartiendraient en propre seraient par eux proposés aux chefs de diocèses ; enfin, qu'ils ne casseraient pas ceux que ces prélats auraient établis.

Ces quatre articles ne concernaient pas seulement les Templiers, mais les Hospitaliers et tous les Ordres envahisseurs. Une cinquième disposition du Concile, prise pour les seuls Frères du Temple, portait :
Que, lorsqu'ils viendraient dans les églises interdites, ils n'y pourraient officier plus d'une fois par an, et qu'ils n'y feraient point d'inhumations.
Les Ordres séculiers et réguliers rivalisaient donc en ces temps comme aujourd'hui.
La décision du Concile de Latran termina les disputes ; néanmoins elle ne parait pas avoir déraciné le mal. Il restait, d'ailleurs, une autre question plus grave pour l'Ordre : c'est sa lutte contre les Hospitaliers, que le Saint-Père apaisa vers la même époque.

Ces deux institutions vivaient constamment désunies depuis un espace de temps difficile à préciser. On peut croire que leurs discords furent pour une large part dans les revers des Croisades. Hospitaliers et Templiers étaient sortis de la tutelle du Patriarche de Jérusalem et relevaient directement du Pape. Les uns et les autres voulaient défendre la Terre-Sainte, s'enrichir et briller par de beaux faits d'armes. Les Templiers furent en tout plus heureux que leurs rivaux qui les avaient autrefois nourris d'aumônes. Ils acquirent de grands biens, se concilièrent la faveur des rois de Jérusalem qu'ils accompagnaient partout, et qui, dans toutes expéditions, les plaçaient à l'avant-garde et leur donnaient la Sainte-Croix. Tant d'avantages exaspérèrent l'Hôpital à tel degré que les deux corps en vinrent quelquefois aux mains, pendant que l'ennemi profitait de leurs dissensions. Nul n'en fut affligé comme le Saint-Père, car nul n'y perdait ou ne croyait y perdre autant que lui. Ce pontife écrivit aux deux Grands-Maîtres, les suppliant d'oublier leurs querelles et de s'unir dans l'intérêt général; il indiqua les moyens de réconciliation. Soit que les adversaires y fussent disposés, soit que la dureté des temps leur en fit sentir le besoin, soit encore, et c'est l'hypothèse la plus probable, que les Grands-Maîtres Odon de Saint-Amand et Roger des Moulins, l'un et l'autre hommes de mérite, s'élevassent au-dessus des considérations d'amour-propre et d'intérêt, les deux Ordres convoquèrent leurs chapitres, ouvrirent des négociations et conclurent la paix (1779), suivant la volonté de Dieu, disaient-ils, et du pape Alexandre, à qui seul ils devaient obéissance après Dieu. Voici les principaux articles du traité :
Toute dissension entre les Ordres, qu'elle ait pour matière les biens, l'argent ou d'autres choses, cesse à compter de ce jour.
Si de nouveaux différends s'élèvent, trois Frères de chaque Ordre, d'après la décision du Pape, connaitront de l'affaire et la régleront. Les Précepteurs des Provinces où les différends auront éclaté, nommeront ces arbitres.
Si les six arbitres ne peuvent s'entendre, ils s'en adjoindront d'autres; et si, malgré leur aide, ils ne parviennent point à faire une transaction, ils écriront au Grand-Maître qui réglera définitivement le litige.
Ce traité, transcrit par les deux Grands-Maîtres, Odon de Saint-Amand et Roger des Moulins, fut soumis (1182) au pape Alexandre qui s'empressa de le ratifier, comme on devait le prévoir par ses précédentes tentatives de pacification [Du Puy, p. 129].

Le Grand-Maître Odon ne vit point la paix qu'il avait préparée. Saladin assembla contre les Chrétiens des forces considérables, et, le 25 novembre 1180, les deux armées se livrèrent une grande bataille où, de part et d'autre, coula beaucoup de sang. Odon, surnommé par les historiens le second Judas Macchabée, commandait quatre-vingts Chevaliers qui ne se détournèrent sur la droite ni sur la gauche. Les Sarrasins furent mis en fuite; mais les vainqueurs, trop âpres au pillage, oubliant de les poursuivre, ils se rallièrent et leur reprirent le butin [Bernhard Thesaurar]. La bataille se rengagea vivement; elle coûta cher aux deux partis, surtout aux Chrétiens. Les ennemis firent prisonnier Odon, et les Croisés le neveu de Saladin. Ce général offrit au Grand-Maître de l'échanger contre son parent; mais Odon refusa la liberté sous cette condition, se fondant sur un statut de l'Ordre, en vertu duquel ses Frères ne donnaient jamais pour un prisonnier d'autre rançon qu'une ceinture et qu'un couteau [Robert de Monte]. Le chef sarrasin laissa donc le Grand-Maître dans les fers, ou les cruels traitements qu'on lui fit subir avancèrent sa mort.

L'histoire présente peu d'exemples d'un tel courage. On cite souvent les héros fabuleux de l'antiquité, tandis qu'on a perdu le souvenir, des évènements réels du moyen âge, plus près de nous et si riche en nobles actions. Pour sauver son chef, le Temple, sans doute, aurait enfreint de bon cœur ses règles, ses coutumes. Odon ne voulut point y souscrire, parce qu'il comprenait que mitiger une loi, c'est la violer et l'abolir. Il regarda la mort en face et l'attendit, plein de résignation, se disant que la captivité du neveu de Saladin serait plus utile à ses Frères que la délivrance de leur Grand-Maître.

X — Arnold de Torroge
Après l'incarcération d'Odon de Saint-Amand, Arnold de Torroge fut nommé Grand-Maitre (1181); il mourut dans la troisième année de son règne. L'Ordre, espérant qu'Odon lui serait rendu, s'abstint probablement de faire un nouveau choix pendant sa vie.

Saladin conclut un armistice avec les Croisés et se rendit en Perse. Dans l'intervalle, le roi Baudouin permit aux Templiers de construire un château dans le lieu nommé (Vadum Jacob), sur la frontière sarrasine. Arnold envahit à main armée le territoire ennemi pour protéger les travaux; violation de la trêve dont Saladin n'oublia pas de se plaindre. A son retour, il mit le siège devant le château, comme on venait de l'achever. Baudouin voulut secourir la Sainte Milice; mais il n'osa marcher plus loin que Tabaria. Le général sarrasin se rendit maitre du château qu'il rasa ; les Templiers eurent la tête tranchée; le reste de la garnison fut conduit à Damas, et le roi renouvela l'armistice avec Saladin [Bernhard Thesaurar]. S'il faut en croire d'autres annalistes, les Templiers périrent dans un supplice plus barbare. Suivant Robert de Monte, Saladin emporta d'assaut le fort de (Vadum Jacob) au moyen de machines. Il fit scier en deux les Frères du Temple, se bornant toutefois à faire décapiter ceux qui n'occupaient dans l'Ordre que des grades subalternes. On ne dit point comment il put établir cette distinction. Les Frères décapités étaient peut-être des Servants, reconnaissables à leurs robes noires et grises.

Ce massacre fait, Saladin offrit aux Croisés de rebâtir pour eux le château, s'ils consentaient à lui rendre son neveu. Nous ne savons point leur réponse, mais il est à présumer qu'ils refusèrent.
Henri II, roi d'Angleterre, avait mis un trésor sous la garde du Temple et de l'Hôpital. Il le leur abandonna, par testament (1182), pour la défense de la Terre-Sainte, se réservant toutefois d'en disposer jusqu'à sa mort. De plus, il légua cinq mille marcs d'argent aux Templiers, cinq mille aux Hospitaliers, outre une somme égale destinée à la défense de la Terre-Sainte, dont les deux Ordres devaient choisir l'emploi [Rymer].

L'année d'avant, le pape Lucius II montra sa bienveillance envers l'Ordre par la publication d'une bulle en tout pareille à celle que le Grand-Maître Odon avait obtenue du pape Alexandre III (1172) [Rymer].
En 1184, Saladin fit des progrès et battit les Chrétiens; l'Ordre fut fort maltraité [Naucleri]. Le comte Philippe de Flandre voulut encore une fois à Jérusalem combattre Saladin; mais les Frères du Temple l'ayant insulté, ce gentilhomme retourna dans Antioche. De là, témoin des nouveaux succès de l'ennemi, Philippe marcha contre Saladin et l'écrasa [Bromton ap Selden, p. 1144].

La Palestine était toujours exposée, car les Chrétiens pouvaient être chassés d'heure en heure. Ils n'avaient plus d'autre ressource que la diversion d'une Croisade européenne. Alexandre III s'efforça d'amener un mouvement de ce genre, par un appel à toute la chrétienté (1181), qui fut entendu des rois de France et d'Angleterre. Mais la mort du Pape et celle du roi de France arrêtèrent la Croisade projetée, qui d'ailleurs n'excitait plus un grand enthousiasme, tout le monde se lassant de ces efforts stériles pour récupérer les Saints Lieux.

Les Chrétiens orientaux, dont la situation s'aggravait, députèrent aux Cours d'Europe trois Ambassadeurs qui s'accompagnèrent apparemment par jalousie réciproque : c'étaient Héraclius, patriarche de Jérusalem ; Arnold, Grand-Maître du Temple et Roger, Grand-Maître de l'Hôpital. Le Patriarche avait à craindre des révélations sur sa conduite, et les Ordres étaient trop soigneux de leurs intérêts pour que l'un d'eux chargeât l'autre de cette mission.

Arrivée sans encombre à Brindes, l'Ambassade en prévint le roi de Jérusalem qui se hâta de lui répondre par l'exposé des affaires. Elle partit alors pour le Concile de Vérone (1184), où le Grand-Maître Arnold mourut [Radulph de Diceto, p. 625].
Héraclius et Roger s'épuisèrent en efforts pour réchauffer la tiédeur des fidèles. Ils eurent peu de succès, même auprès du souverain pontife. L'empereur les adressait à la France, et le roi de France à l'Angleterre. Ces Ambassadeurs appelaient le peuple à défendre la Terre-Sainte d'une manière assez étrange : partout ils portaient avec eux les clefs du Saint-Sépulcre et de la tour de David, et l'étendard de la Sainte-Croix, ce qui devait frapper vivement les esprits [Radulph de Diceto].

XI — Terric ou Thierry
Le retentissement de la mort du Grand-Maître Arnold, en Asie, était un embarras de plus pour l'Ordre qui, sans tarder, mit a sa place Terric ou Thierry, En abordant ce règne remarquable, nous devons signaler la divergence générale des historiens qui ne suivent pas seulement la même chronologie ; en sorte que nous aurions beaucoup de peine à démêler la vérité dans leurs récits.

A la mort de Baudouin IV, le trône de Jérusalem échéant à Baudouin V, en bas âge, Raymond, comte de Tripoli, fut le tuteur du fils comme il avait été celui du père. L'Ordre administra les biens de la couronne. Au bout d'un peu de temps, le jeune prince étant mort, sa mère Sybille, comtesse de Jaffa, se fit reconnaître souveraine héréditaire du royaume par le Patriarche son amant, les Frères du Temple, les Hospitaliers et d'autres notables [Anselm Gemblacens]. Sans s'arrêter aux représentations du sage comte Raymond qui pria le Patriarche et les deux Grands-Maîtres de ne rien entreprendre à l'insu du Pape, de l'Empereur et des rois de France et d'Angleterre, Héraclius sacra Sybille qu'il força de prendre un époux. Guy de Lusignan [Berhnard Thsaurar] qu'elle choisit fut d'autant mieux agréé que ce seigneur n'était pas de sang royal [Anselm Gemblacens].

Il est heureux pour la gloire du Temple que la plus grande partie de ces évènements appartiennent à l'histoire de Jérusalem. Tout concourut à la ruine du royaume, arrêtée dans les décrets de la Providence.
Les Templiers et les Hospitaliers se déchiraient : Guy, roi sans génie et sans caractère, était l'instrument du Patriarche et du Grand-Maître Terric ; Héraclius était un prêtre corrompu qui paya d'une couronne l'amour de sa concubine ; et roi, Grand-Maître et Patriarche traitaient en ennemi Raymond, dont la voix fut méconnue. L'Europe, plongée dans l'apathie, ne songeait plus à des Croisades depuis la mort du pape Lucius II. On dut employer à l'entretien des soldats le trésor remis au Grand-Maître par Henri II [Berhnard Thsaurar]. L'aveuglement des chefs, au milieu de ces difficultés, précipita la chute de l'empire.

Guy, léger et faible, s'aliéna Raymond qu'il outragea plusieurs fois et qu'il finit par bloquer dans Tabaria, suivant le conseil de Terric. En désespoir de cause, Raymond passa du côté de Saladin qui lui promit secours. Ce ne fut qu'alors que le roi de Jérusalem ouvrit les yeux ; il descendit du langage le plus fier au plus humble, et les deux Grands-Maîtres, avec d'autres ambassadeurs, allèrent en son nom demander pardon au comte de Tripoli.

Quelques écrivains pensent que Raymond eut des remords de sa conduite et qu'il fit tout pour la réparer ; mais, suivant d'autres, il resta transfuge. Du moins, il réunit son armée à celle du roi.
Les discords intérieurs étaient une invitation directe aux Sarrasins qui se mirent en campagne avec des forces doubles. Les Templiers, la Sainte-Croix en tête, marchèrent à la rencontre des Infidèles et perdirent, le 1er mai 1187, soixante hommes, pour s'être attaqués à des ennemis trop supérieurs en nombre.

Vers le milieu de juillet, le roi mena contre Séphouri trente mille hommes qui joignirent ceux de Raymond. Saladin, suivi de quatre-vingt mille cavaliers, alla précipitamment assiéger Tibériade. Lusignan voulut délivrer la ville, où se trouvaient la comtesse et plusieurs enfants de son premier lit ; ce fut Raymond qui combattit ce dessein. « Mieux vaut, dit-il, perdre ma ville que tout perdre. — Si vous abandonnez Tibériade, les Sarrasins la raseront, et retourneront chez eux avec ma femme et mes enfants; mais, si vous marchez sur leur camp, vous serez battus. Terric fut le seul qui ne goûta point l'avis de Raymond. Était-ce haine ou dédain, excès de bravoure ou haute prudence ?
On peut admettre toutes ces suppositions. Il accusa de trahison le comte qui, sans s'émouvoir, déclara répondre de l'événement sur sa tête.

Grand fut l'embarras du faible roi. La pente de son caractère l'entraînant enfin, il se décida pour le système de Raymond, qui réunissait la majorité des voix. Comme tous les esprits irrésolus, placés en face d'une alternative, il chercha la justice et la vérité dans le nombre des opinions.

Après le repas où cette détermination venait d'être prise, le Grand-Maître, sans perdre courage, dit à Lusignan, dans une dernière entrevue, qu'il était honteux pour un roi chrétien de croiser les bras, quand les Sarrasins s'agitaient à quelques lieues de Jérusalem, et que le Saint-Ordre dépouillerait et mettrait en gage ses vêtements plutôt que d'y consentir. Ce discours renouvela l'hésitation du roi qui sentait à quel point il était sous la dépendance du Temple ; il se laissa convaincre, fit mettre ses troupes sur pieds et marcha droit à l'ennemi qui s'était déjà rendu maître de Tibériade. Le vendredi 3 juillet, près de Marstec, il lui présenta la bataille qui dura fout le jour. Vers la nuit, l'armée chrétienne fut campé à Salnubia jusqu'au samedi soir, où ses rangs se réformèrent pour recommencer le combat. Les Frères du Temple, cédant à leur impétuosité, tombèrent sur les Infidèles à trois heures du matin; mais ils ne furent pas soutenus par le gros de l'armée et perdirent presque tout leur monde.

Grâce à la stratégie imprévoyante du temps, une armée en campagne manquait de vivres au bout de trois jours. Les Chrétiens campaient en outre dans un pays aride. Tourmentés par la faim et la soif, ils furent encore trahis : trois d'entre eux, Baldonius de Fatinor, Leusius et Bachibocus de Tabaria, qui, comme Érostrate, ne pouvaient s'immortaliser que par un crime, passèrent à Saladin, se firent Mahométans et lui révélèrent la situation de l'armée. Aussitôt Saladin envoya contre elle Téchédin, à la tète de vingt mille soldats d'élite. La plaine de Tibériade devint le théâtre d'une chaude et sanglante bataille, où les Croisés furent vaincus. Le roi Lusignan et la Sainte-Croix tombèrent entre les mains des Infidèles. Cette dernière perte abattit complètement le courage des Chrétiens. Deux cent trente Chevaliers des Ordres restèrent sur la place, car tous les Templiers et les Hospitaliers qu'on prit, furent passés, sans miséricorde, au fil du glaive. Il n'échappa que le comte de Tripoli, le Grand-Maître Terric et quelques autres seigneurs.

L'heureux Saladin usa de sa victoire en capitaine habile. Le dimanche, il marcha sur Séphouri, prit Nazareth et le mont Tabor ; le lundi, ses troupes étaient devant Acton (Acton porte aussi les noms d'Acre et de Ptolémaïs) qui se rendit ainsi que Jaffa, Césarée et Naptouse.
En cette occurrence, les Chrétiens de Palestine implorèrent de nouveau l'appui de l'Europe (1188). Terric écrivit une lettre circulaire dans laquelle il raconta brièvement leurs désastres, jusqu'au siège de Tyr, par Saladin [9].
De conquête en conquête, le Sultan investit Jérusalem qui soutint un siège de trente-trois jours. Les historiens se partagent pour placer la réduction de la Ville Sainte en 1187 et 1188 [10]. Plusieurs disent que le Grand-Maître fut fait prisonnier, d'autres, qu'il resta libre. Quelques-uns énumèrent une quantité de places que Saladin exigea comme rançon du roi, de son frère, du Grand-Maître et du Patriarche ; ils ajoutent que le sultan relâcha promptement le frère du roi, mais qu'il retint Lusignan et Terric jusqu'après Pâques [Radulph de Diceto].

Le Grand-Maître instruisit Henri II de la prise de Jérusalem [Du Puy, p. 132], et lui nomma les lieux encore occupés par les Chrétiens : c'étaient Antioche, le pays de Tripoli, puis quelques châteaux de l'Hôpital et du Temple. Presque en même temps, Terric déposa ses dignités. Dans sa lettre circulaire, il se dit déjà l'ancien Grand-Maître de l'Ordre du Temple de Jérusalem. Ensuite il alla solliciter des secours à Rome auprès d'Innocent III. Il s'y trouvait encore en 1196 [11].

Saladin, prince équitable, à tout prendre, traita la Ville Sainte avec humanité [Bernhard Thesaurar]. Le Patriarche, les deux Ordres et des masses de captifs furent élargis ; mais on ne leur permit d'emporter aucune chose. Les Hospitaliers eurent le loisir de laisser pendant un an dix Frères dans leur Maison pour soigner les malades. A l'égard des autres prisonniers, Saladin établit un tarif. Ceux qui voulaient se racheter payaient cinq besants par homme, deux et demi par femme, un et demi par enfant, et néanmoins vingt mille personnes furent menées prisonnières à Damas [Radulph de Diceto].

Le comte de Tripoli ne survécut pas longtemps à la prise de Jérusalem. Les uns disent seulement que le remords et la honte abrégèrent ses jours [Bernhard Thesaurar]; les autres vont jusqu'à prétendre qu'il fut atteint de folie avant sa mort.

Une Compagnie pisane peu nombreuse, qui s'était toujours distinguée dans ces guerres, ayant fixé l'attention de l'Ordre, le Grand-Maître pria le marquis Conrad de Montferrat, prince de Tyr, d'accorder aux Pisans certains privilèges. La Charte qui les règle est signée de plusieurs Templiers, parmi lesquels étaient le Frère Gaufride Morin, Précepteur, et le Frère Achard, Chapelain de la Maison du Temple à Tyr.

XII — Gérard de Ridesser
A Terric succéda Gérard de Ridesser ou de Ridefort, le Sénéchal du roi de Jérusalem. On a dit que le chagrin de voir repoussées par le comte de Tripoli les offres de mariage qu'il avait faites à la châtelaine de Botrou, jeta Gérard dans la Milice Templière, et qu'il fut toujours l'ennemi de Raymond [Murator. SS., t. VII, p, 793]. Evidemment, c'est confondre ce Grand-Maître avec son prédécesseur. Gérard monta sur le Trône Magistral en 1188, et ne l'occupa que peu de mois. Il ne pouvait, pendant son règne, être l'ennemi du comte de Tripoli, mort avant son acceptation. Terric, au contraire, semble avoir vécu fort mal avec ce seigneur.

La lettre du précédent chef de l'Ordre émut vivement l'Europe, où le zèle pour la défense des Lieux Saints se ralluma dans les plus tièdes âmes. Sur la fin d'octobre 1188, Innocent III publia dans toute la chrétienté le coup qui venait de frapper l'Église, exhorta les fidèles à la pénitence, prescrivit un jeûne, et promit des indulgences plénières à ceux qui prendraient la Croix.

Le roi Guy se trouvait à Tripoli depuis sa libération. Il voulait s'embarquer; mais, semblable au roseau battu des vents, il se laissa persuader, par le Patriarche et le Grand-Maître du Temple, de réunir les Chrétiens à Tyr contre Saladin [Nauclerus].

Tyr était, nous l'avons dit, le domaine de Conrad, marquis de Montferrat, homme orgueilleux et volontaire, à qui tout donnait ombrage. Mécontent, sans doute, de cette réunion, le marquis écrivit à l'évêque de Cantorbéry, sur la fin de septembre 1189, que la conservation de Tyr excitait l'envie de Guy, de Gérard et des autres gentilshommes ; qu'il était en butte à la haine, à la jalousie, à la médisance ; que le Grand-Maître avait retenu les aumônes dont le roi d'Angleterre l'avait chargé pour lui, Conrad, tandis que l'Hôpital, exact à remettre celles dont il était dépositaire, en avait même ajouté de son propre fonds [Ralulph de Piceto].

Tout ceci dénote la malignité du marquis de Montferrat qui, craignant, à juste titre, qu'on n'apprit ses mauvais procédés envers le roi de Jérusalem et le Grand-Maître, procédés que nous raconterons tout à l'heure, s'avisa de prendre l'avance par une calomnie.

Les Chrétiens, rassemblés dans Tyr, tinrent conseil, il semblait que le marquis mit son honneur à combattre l'avis des Templiers et du roi, sous prétexte qu'il voyait plus loin qu'eux tous. On, résolut d'assiéger Acton (Ptolémaïs) ; Conrad et l'archevêque de Ravenne improuvèrent le projet et ne joignirent pas leurs forces à l'armée, lorsque, vers la fin d'août, le roi, les Templiers et les Hospitaliers, l'archevêque de Pise et beaucoup de Pisans bloquèrent hermétiquement Acton. La réconciliation de Conrad aurait encore pu faire réussir l'entreprise; mais il refusa son concours, irrité qu'on l'eût osée malgré lui.

Le sultan Saladin vint promptement au secours de la garnison, traversa l'armée du roi de Jérusalem et de l'Hôpital, et délivra la ville. Ce fut aux Chrétiens de se retirer sur une montagne où les Musulmans les cernèrent. Guy dut s'humilier devant Conrad, l'auteur de sa mésaventure. En invoquant son aide, le roi s'avilit jusqu'à lui demander pardon. Il n'en fallut pas moins pour faire agir ce gentilhomme qui s'y prêta de mauvaise grâce et qui peut-être aurait persisté dans l'inaction, si l'archevêque de Ravenne ne l'eût menacé des clameurs de l'Europe.

A la fin de septembre, les deux amis amenèrent au roi vingt mille fantassins et mille cavaliers. L'armée chrétienne fut divisée en quatre corps : le premier comprenait les troupes royales, les Hospitaliers et les Français; le second était commandé par le marquis et l'archevêque de Ravenne; le troisième se composait de Pisans et d'Allemands; le quatrième, d'Allemands et de Catalans. On livra bataille le 4 octobre ; les Chrétiens eurent la victoire et tuèrent Baudouin, fils du Sultan. Par défaut d'ensemble dans le plan des Croisés qui comptaient trop de chefs, tous en dissidence, ils oublièrent de surveiller la ville qu'ils assiégeaient. Une division de cinq mille hommes fit une sortie et tomba sur les derrières de l'armée, pendant que Saladin se ralliait pour lui tenir tête. Pris entre un double feu, beaucoup de Chrétiens périrent. Le Grand-Maître de l'Ordre, suivi du Maréchal, de dix-huit autres Frères et de quarante Croisés, se jeta sur mille Sarrasins et frappa de grands coups; mais il finit par payer son audace de sa vie [Radulph de Piceto, p, 48].

XIII — Gauthier
Gauthier fut élu vers 1189 et régna jusqu'à 1194, dates approximatives.

L'Europe préparait sérieusement la croisade. Frédéric Barberousse partit en 1189 ; Philippe-Auguste et Richard-Cœur-de-Lion en 1190. Les dissensions de ces deux rois et les aventures de l'armée impériale sortent de notre cadre.

Avant d'aller en Palestine, les Anglais voulurent expulser les Maures du Portugal. Plusieurs de leurs vaisseaux abordèrent dans ce royaume, au moment où l'empereur de Maroc venait d'investir Nova Turris, château du roi Sanctius. Il était temps, et le roi les supplia de se hâter, car déjà les Marocains assiégeaient le fort de Thuinar, appartenant à l'Ordre du Temple. Mais la mort du souverain barbaresque et la retraite de son armée rendirent inutile l'intervention anglaise.

La Croisade s'avança lentement vers la Syrie. Attentifs au passé, les Princes firent des lois pour prévenir le retour des troubles intérieurs par lesquels avaient échoué les expéditions précédentes. L'empereur d'Allemagne fixa la somme que devait emporter chaque Croisé ; les rois de France, d'Angleterre et de Sicile défendirent aux pèlerins de renvoyer leurs armes ou leurs vêtements ; ils proscrivirent le jeu de hasard qui ne fut toléré que parmi les Chevaliers et les Ecclésiastiques. On permit à ces deux états de jouer vingt sous [Vignti Solidi] ; quiconque perdait davantage payait cent sous d'amende au profit du Patriarche ou des Ordres militaires. Ces règlements et d'autres adoptés sous la foi du serment par les Souverains, Archevêques, Évêques, Grand-Maîtres, Comtes et Barons [Bromton, p. 1182], ne purent conjurer les querelles, le mécontentement et l'indiscipline.

Dans l'intervalle (1190), Guy continua le siège d'Acton sans pouvoir la réduire, malgré les renforts d'Italiens, de Danois, de Frisons, d'Allemands et d'Anglais qui lui venaient de toutes parts. Philippe-Auguste même n'y put rien ; mais l'arrivée de Richard, qui revenait de conquérir Chypre, détermina la reddition de cette place.

La défense d'Acton fut admirable. Après la Saint-Michel (1190), les assiégés, dans une sortie, firent un terrible usage du feu grégeois. Ils essayèrent de recommencer à la Saint-Martin, mais la Milice du Temple les repoussa.

Nous possédons l'état des armes employées au siège [Radulph de Diceto, p. 645], dont les lenteurs, quand on disposait de tant de monde, s'expliquent par la discorde qui paralysait ce camp hétérogène.

Un autre malheur frappa les opérations ; la reine Sybille mourut avec tous ses enfants, occasion de s'affranchir du roi qui fut avidement saisie. On dit tout haut que le règne de Guy prenait fin en même temps que celui de Sybille qui l'avait couronné. Herffand de Toron, mari d'Isabelle, la fille puinée d'Amaury, prit le titre de roi ; mais son mariage fut déclaré nul et sa femme donnée à Conrad de Montferrat, qui se crut le même titre au trône. Jérusalem avait trois rois sans terre. Herfrand était à peu près seul de son parti ; Philippe-Auguste, Allemands, Génois et Frères du Temple tenaient pour Conrad ; Richard, Flamands, Pisans et Frères Hospitaliers appuyaient les prétentions de Guy. De sorte que tout était changé : le Temple, comme l'ordre de Saint-Jean, s'alliait à ceux qu'il avait d'abord combattus. Les Templiers embrassaient les querelles de la France et les Hospitaliers celles de l'Angleterre. Deux partis s'étaient dessinés en contradiction permanente, et, pour prévenir un éclat, l'on dut calmer les esprits par mille et mille propositions. Enfin le Marquis eut Tyr, Sidon, Jaffa, Beyrouth et la moitié d'Ascalon ; Guy conserva le reste et tous droits sur ce que l'on pourrait conquérir. Ni l'un ni l'autre ne devait porter la couronne avant la mort de son collègue [Sicardi]. On chargea les deux Ordres de percevoir le revenu du port voisin d'Acton, jusqu'à la conclusion du différend [Bromton].

Néanmoins la ville ouvrit ses portes, à la grande douleur du sultan Saladin. Il voulut la racheter ; mais les rois ne demandèrent pas moins de deux cent mille besants d'or pour les frais de campagne. Saladin repoussa cette prétention exorbitante, et Richard, furieux, fit massacrer plus de cinq mille prisonniers de guerre.

La jalousie des rois de France et d'Angleterre devenant toujours plus vive, Philippe quitta la Terre-Sainte (1191). Il y laissa dix mille fantassins et cinq cents cavaliers avec assez d'argent pour les maintenir trois années, et les mit en trois bandes, sous les ordres du marquis de Montferrat, du Temple et de l'Hôpital.
Les Croisés marchèrent alors sur Jérusalem et l'investirent. La désunion était si flagrante, qu'ils durent se demander si le commandement serait unitaire. Un conseil, dont cinq membres étaient pris dans le Temple, cinq dans l'Hôpital, et les dix autres dans les laïcs de Syrie et d'Europe, fut saisi de cette question par le roi d'Angleterre [Bromtom, p. 1245] qui, pendant leurs débats, surprit une caravane sarrasine allant du Caire à Jérusalem et s'empara d'une quantité de vivres.

Il avait été convenu que les Français garderaient leur butin, tandis que les autres nations et les Ordres laisseraient le roi d'Angleterre disposer de leurs prises [Radulph de Diceto].

Le résultat de la délibération des vingt commissaires fut qu'on ne pouvait assiéger Jérusalem. On voulut faire une trêve avec le Sultan qui connaissait trop bien son avantage pour la consentir sans stipuler le ras d'Ascalon, et cette clause était inacceptable. Par ordre du roi, trois cents Hospitaliers et Templiers, guidant des soldats de divers pays, se jetèrent dans Ascalon, où les Chrétiens exécutèrent de nouveaux travaux. Le fort de Darun fut rasé.
Personne ne s'avouait coupable des embarras communs. De violents murmures assaillirent Richard qui fut chargé des crimes les plus odieux [Bromton].

Richard avait vendu l'Ile de Chypre, sa conquête, à l'Ordre du Temple, pour vingt-cinq mille marcs d'argent [SS. Pithai, p. 192]. Un Institut qui faisait de tels marchés devait avoir acquis d'immenses richesses. Les habitants, tous de la religion grecque, ne voulurent point appartenir à des religieux de l'Église latine. En vain les Templiers mirent garnison dans l'île; elle se révoltait sans cesse et n'eut de repos que lorsqu'ils renoncèrent à l'occuper. Par une nouvelle disposition de Richard, Chypre devint donc la propriété d'Henri, Comte de Champagne, et du roi Guy [Histoire de Malte, par Vertot].

Cette stérile expédition se termina par la remise forcée d'Ascalon aux Sarrasins. Le règne du Grand-Maître Gauthier n'a plus d'événements remarquables pour l'Ordre.

XIV — Robert de Sablé
Ce Chevalier vint d'Angleterre avec les soldats de la Croix, en 1191, après avoir fait l'expédition de Portugal contre l'empereur de Maroc. Tout ce qu'on sait de lui, c'est qu'il fut nommé Grand-Maître en 1191.

XV — Gilbert Eral ou D'Eralie
Le nom de ce Grand-Maître du Temple est cité dans l'histoire à l'an 1196. Les Hospitaliers se souvenaient toujours que l'ordre si puissant, qui les surpassait en privilèges comme en influence politique, avait autrefois subsisté de leurs aumônes. De nouveaux différends s'élevèrent à l'occasion de biens dont ils voulurent déposséder leurs rivaux par force. Le Temple, modérant son indignation légitime, pour ne point violer ses engagements et la paix de 1182, porta ses griefs au Saint-Siège. Innocent III apprit avec un vif déplaisir que les Hospitaliers osaient, sans avoir égard à la situation, troubler le repos intérieur de l'Église et celui de ses fils bien-aimés les Templiers ; le Pontife apaisa, néanmoins, autant qu'il était en lui, la querelle des Ordres, et fit revivre le traité d'Alexandre III [12].

XVI — Ponce de Rigaud
Ponce de Rigaud parait en 1198, l'année où mourut Richard Cœur-de-Lion. Ce prince était assisté dans ses derniers moments par l'évêque de Rouen, Gauthier, qui lui représentait la nécessité de faire sa confession et surtout de renoncer à ses trois filles, l'orgueil, l'avarice et l'intempérance. Ainsi soit ! dit Richard, je veux les marier toutes trois : je donne l'orgueil aux Templiers, l'avarice aux moines gris et l'intempérance aux moines noirs [13].

Il serait superflu de commenter longuement ce sarcasme. L'Ordre tenait pour la France qui faisait ombrage à l'Angleterre; l'Ordre, dont l'influence s'étendait sur tous les pays, n'avait pas souffert patiemment les actes arbitraires par lesquels Richard s'était nui dans la Croisade.

Assez de raisons l'indisposaient contre le Temple, et Du Puy, plein d'esprit de système, pouvait seul prendre au mot le monarque anglais.

Les Templiers et les Hospitaliers avaient mis sur le trône Henri, comte de Champagne, qui finit ses jours en se précipitant d'une fenêtre (1197). Après sa mort, Amaury, roi de Chypre, le frère de Guy, fut roi de Jérusalem. A l'instigation des deux Ordres, il assiégea Beyrouth et s'en rendit maître.

L'Europe faisait tous les préparatifs d'une nouvelle Croisade. La France et l'Allemagne armèrent, et partirent en 1197. Malgré quelques avantages, elles s'en retournèrent bientôt mécontentes.

Vers cette époque advint une chose étrange et très injurieuse pour l'honneur des Frères du Temple. L'évêque de Tibériade se plaignit au Pape qu'ils retenaient 1300 besants et d'autres dépôts que son prédécesseur avait mis sous leur garde. Innocent III chargea deux évêques d'informer sur l'affaire. C'était pour l'évêque de Sidon la plus belle occasion de sévir contre un collège auquel il ne pardonnait point de s'être soustrait à toute régie épiscopale. Il cita le Grand-Maître qui, ne pouvant venir, se fit remplacer par deux Frères de l'Ordre. Les délégués assurèrent l'évêque de Sidon que, sans tenir compte de l'absence du confrère qu'il devait s'adjoindre, d'après la décision de Rome, ils étaient prêts à l'entendre, à lui répondre, et, s'il prononçait un jugement, à s'y conformer. Pour lors, le vénérable Évêque entra dans une grande fureur; au lieu d'examiner leurs raisons et d'attendre son confrère, il déclara de son chef aux envoyés que, s'ils ne payaient, le dimanche suivant, il excommunierait les Templiers avec leurs amis et partisans. Quand Ponce de Rigaud fut instruit de la menace, il en demanda la rétractation au Patriarche; mais, le dimanche venu, le violent primat tint parole et lança les foudres de l'Église sur le Grand-Maître, sur tous les Templiers des deux côtés de la mer, leurs amis et leurs partisans.

Jamais semblable extravagance ne fût commise avec autant de précipitation. Des hommes qui vivaient dans une autre partie du monde étaient anathématisés en six jours, sans le savoir ou le mériter d'aucune manière. Ce scandale public, comme l'appelait très-bien le Pape lui-même, fit grand bruit dans l'Église d'Orient. Personne ne s'expliquait par quel crime l'Ordre s'était attiré l'excommunication. Les Chevaliers s'indignèrent; ils voulurent rompre leurs vœux et rentrer dans le monde. Le sage Patriarche et quelques autres personnages parvinrent à les calmer et leur conseillèrent d'en appeler au Pape.

— Du reste, dit Innocent, ils se reposaient sur le Seigneur auquel ils avaient consacré leur vie.

La folle conduite de l'évêque de Sidon scandalisa profondément le Saint-Père. Il rendit une bulle pour en exposer l'injustice. Si l'Evêque, s'écrie-t-il, excommunie les amis et les partisans de l'Ordre, pareil honneur m'est aussi réservé, car je suis son meilleur ami. Puis il montre tout ce qu'ont d'absurde la flétrissure en masse d'un corps religieux dont peut-être le chef et quelques dignitaires étaient seuls coupables, et la condamnation des Chevaliers d'Europe qui n'avaient pas même connu l'affaire.

Comme redressement de cet abus insigne, il autorisa les Templiers à suspendre en son nom l'Evêque dans ses fonctions, en passant outre sur tout appel, jusqu'à ce que le Pape fit grâce, afin que, insensé par sa faute, le Prélat devint plus sage par sa punition [14].

La honte que l'Evêque avait destinée à l'Ordre retomba donc sur sa tête. On ignore la fin du procès entre les Templiers et l'évêque de Tibériade; mais une bulle papale défendit à tous les prélats de jamais excommunier l'Ordre ou quelqu'un des Frères et de fulminer l'interdit contre leurs Eglises.

Peu de temps après, vers 1200, les Frères du Temple étaient en discord avec Léon, roi d'Arménie, pour le château de Gaston, que le Pape engagea le souverain à leur restituer. Léon consentit; mais ses défaites interminables lassèrent les Chevaliers qui ne voulurent le secourir contre les Infidèles qu'au prix de vingt mille besants. Le roi n'ayant pu s'entendre avec eux à l'égard du château, près d'Antioche, ils le quittèrent, en dépit de ses supplications. Il protesta deux fois à Rome contre cet abandon peu louable, si le récit de Léon est impartial.

La seconde armée de la nouvelle Croisade, qui se composait de Français, partit en 1201. Pendant le voyage, elle eut tant à faire aux Grecs, que le but de l'expédition en fut presque oublié.
Amaury mort, Jean, Comte de Brienne, gouverna Jérusalem.

XVII — Philippe du Plessis
Philippe du Plessis n'est connu que par son nom. Peut-être, tant il règne ici d'incertitude, peut-être n'est-ce qu'un faux nom, substitué par erreur à celui de Théodat de Bersiaco sur qui nous avons quelques renseignements.

XVIII — Théodat de Bersiago
Le Temple tenait d'Eugène III, d'Adrien IV et d'Alexandre II l'autorisation de dire une messe par année dans les lieux interdits. Ce droit diminuait considérablement les privilèges épiscopaux et semait toujours la jalousie et l'envie entre les diocèses et les Ordres auxquels il était accordé. L'abus ordinaire qu'en faisaient ces Ordres était dénoncé régulièrement à la Cour de Rome par la vigilance des évêques. Quoique le Souverain Pontife commandât au Temple de se contenir dans son droit (1179), les Chevaliers persistèrent à le dépasser et les évêques à s'en plaindre. Non-seulement les Frères de l'Ordre célébraient le culte et sonnaient les cloches sans se mettre en peine de l'interdit, mais ils enterraient dans leurs cimetières, pour une modique somme, des gens excommuniés. Las de ces doléances continuelles, le Pape fit des reproches au Grand-Maître, l'exhortant à réprimer l'abus et menaçant de sévir (1208) [Baluz, p. 68, Du Puy, p. 141]. Nous croyons que les rapports adressés à Rome péchaient par exagération, car les évêques n'avaient point coutume d'attendre plusieurs années avant de lui signaler ce genre de délits spirituels.

En 1209, Innocent avertit le Patriarche et les Grands-Maîtres des deux Ordres qu'on préparait une Croisade européenne et les pria de contribuer par tous leurs moyens à l'œuvre de la défense et de la conquête des Saints Lieux [Baluz, p. 192, Du Puy, p. 112].

La dispute entre le roi d'Arménie et les Templiers, concernant le château de Gaston, fut aussi réglée par le sage Pontife [Du Puy, p. 551].
En 1209, Frédéric, roi de Sicile, depuis empereur, fit don de Murrum à Guillaume d'Aurélie, Grand-Prieur de l'Ordre en Sicile, pour la Maison de Messine. L'année suivante, il y joignit de nouveaux présents [Du Puy, p. 148].
Sous Sigewin, évêque de Camin, qui régna de 1202 à 1217, les Chevaliers s'établirent en Poméranie, où leur Institut s'enrichit de plusieurs fiefs, comme Pausin, Rœrich et Wildenbeuh [15].

XIX — Guillaume de de Montédon ou de Chartres
L'agrandissement de l'Ordre ne s'arrêtait pas encore. Il reçut une partie de Santersleben en Brunswick (1215), et d'autres possessions dans d'autres contrées.

La Croisade annoncée par Innocent au Grand-Maître Théodat fut ouverte en 1217. André, roi de Hongrie, Léopold, duc d'Autriche, et beaucoup de seigneurs allemands se rassemblèrent à Lisbonne, rendez-vous des Croisés. Plusieurs évêques, Hospitaliers et Templiers y vinrent dire aux chefs de l'expédition que les Maures du fort d'Alchaz opprimaient le pays. On se divisa sur l'opportunité de secourir les Chrétiens du Portugal. Quelques-uns voulaient aller immédiatement en Terre-Sainte; d'autres voulaient combattre d'abord les Maures. Les Frisons restèrent et mirent le siège devant Alchaz. Quatre rois ayant pris fait et cause pour les défenseurs de la place, le Grand-Prieur Pierre et les Templiers, survenus le soir, enfoncèrent vaillamment leur armée qui laissa quatorze mille hommes sur le terrain. Le fort ouvrit ses portes aux Chrétiens vers la fête des onze mille vierges.

Les vainqueurs suivirent (1218) le corps de la Croisade en Asie où s'étaient rencontrés les rois de Hongrie, de Chypre et de Jérusalem. Après la Toussaint, le Patriarche les joignit avec la Vraie-Croix [Bernhard Thesaurar]. Ils passèrent le Jourdain, prirent les positions du Thabor et cernèrent l'ennemi. Leur entreprise donnait la plus belle espérance ; mais il sembla que la Providence voulût toujours confondre l'œuvre des Chrétiens. Elle eut la même issue que les précédentes Croisades : l'envie et la discorde affaiblirent l'armée, déjouèrent ses efforts, et les Musulmans purent dissoudre, par ruse et par temporisation, une alliance qu'ils n'auraient jamais brisée de vive force.

Tout avantageuse qu'était l'occupation du Thabor, elle n'encouragea pas les soldats de la Croix. Sur un des versants campaient les rois de Jérusalem et de Chypre, Guérin de Montaigu, Grand-Maître de l'Hôpital, et des troupes européennes ; sur le versant opposé, le duc d'Autriche, les Frères du Temple, dont le chef était malade dans Acton (Ptolémaïs), et quelques Hospitaliers. Cette division attaqua Vigoureusement; mais, comme on ne vint pas à son aide, elle fit une retraite qui coûta cher aux deux Ordres. Chose incroyable, pendant que les Templiers et les Sarrasins étaient aux prises, les généraux de la première division délibéraient et n'agissaient pas. Raymond et le Grand-Maître des Johannites, au lieu de combattre, se querellèrent si vivement que tout le corps posté près d'eux abandonna la montagne. On ne reprocha jamais à l'Hôpital une félonie que, le Temple l'eût-il commise, ses détracteurs auraient relevée avec soin.

Les discords et l'inconséquence des princes indisposèrent le roi de Hongrie. Désespérant de la Croisade pour laquelle il avait montré tant d'ardeur, il ne tarda plus à quitter la Palestine.

Les Templiers et les Chevaliers teutons ravitaillèrent contre les barbares le château de Districtum, jusqu'alors une habitation de pèlerins, et le gardèrent par la suite dans la paix comme dans la guerre.

La situation de Districtum, entre Calphaset Césarée, était ravissante. On avait vue sur la mer, et des rochers pour rempart. En creusant le sol, les Chevaliers y découvrirent sous un vieux mur des monnaies de la plus haute antiquité, renfermées dans un vase d'argile, et dont personne ne connaissait les effigies.

En 1218 vint du Portugal la seconde partie de l'armée chrétienne. On fit voile vers l'Egypte. Les deux Ordres remontèrent le Nil et mirent le siège devant une tour, dont la garnison capitula pour vivre. Tous les Croisés passèrent alors le fleuve, et la milice du Temple, qui, d'après le témoignage des historiens [Mathieu. Paris, Du Puy, p. 535], était toujours la première à la rescousse et la dernière à la reculade, marcha droit sur Damiette, en repoussant avec perte l'ennemi qui voulait lui barrer le passage.

Si jamais l'Ordre a paru dans tout sou lustre, si jamais il a mérité l'estime qui se prend aux âmes loyales, c'est pendant ce siège, où les Chevaliers donnèrent des preuves surprenantes de persévérance et de courage.

Le projet d'investir Damiette était un des plus heureux que pussent concevoir les Chrétiens, car le Sultan devait se résoudre à de grands sacrifices pour sauver sa meilleure ville. Déjà redoutable par sa position, Damiette l'était doublement par le nombre et le mérite de ses défenseurs. Mais l'armée les surprit trop dépourvus de vivres pour soutenir un long blocus et leur ferma toute voie d'approvisionnement. Leurs fréquentes sorties échouèrent toujours. Le 9 octobre 1218, ils assaillirent l'armée du Temple, qui leur tua cinq cents hommes.

Dans une de ces sorties, le 39 novembre, ils se servirent du feu grégeois. Le fleuve, passant tout-à-coup ses bords, entraîna fort loin un navire des Templiers qu'entourèrent les ennemis. Comme l'équipage tenait encore, le vaisseau fut coulé bas par une cause inconnue, et Musulmans et Chrétiens disparurent dans les flots [Bernhard Thesaurar, p. 824].
Guillaume de Chartres mourut pendant le siège (1219), laissant après lui le nom d'un excellent et brave Chevalier [Bernhard Thesaurar].

XX — Thomas de Montaigu
Thomas de Montaigu, nommé, sous Damiette (1219), était parent de Guérin de Montaigu, Grand-Maître des Hospitaliers.

Le dimanche des Rameaux, l'ennemi fit une attaque furieuse, principalement dirigée contre le pont du Temple, que défendaient l'Ordre, le duc d'Autriche et les Allemands. Le pont emporté, les Musulmans y mirent le feu, mais ils ne purent venir au delà [Bernhard Thesaurar, p. 833]. Peu de temps après, le duc retourna dans son pays.

Le 31 juillet, les assiégés, rassemblant leurs forces contre la Sainte Milice, repoussèrent l'infanterie, si bien que toute l'armée fut en péril et dans le plus effroyable désordre, malgré la protection de ses retranchements. Au milieu de ce tumulte, le Grand-Maître, le Maréchal et plusieurs Chevaliers, soutenus par l'Ordre Teutonique et d'autres Chrétiens, balayèrent un défilé, tombèrent sur les Musulmans et les mirent en déroute. L'Ordre du Temple, dont les services furent depuis méconnus et payés de tant d'ingratitude, sauva toute une armée chrétienne.

Jusque-là rien n'avait troublé l'harmonie ; mais le génie de la discorde, qui ne dormait jamais longtemps au camp des Croisés, se réveilla comme d'habitude, lorsqu'ils discutèrent le plan d'opérations. Beaucoup étaient irrésolus, quelques-uns, découragés. Cependant le parti belliqueux domina. On commit la faute, en présentant la bataille, de placer au premier rang les plus timides : c'étaient les Italiens, qui lâchèrent pied sitôt qu'ils aperçurent le feu grégeois. Vainement les deux Ordres du Temple et de l'Hôpital, postés auprès d'eux, s'efforcèrent de les retenir avec supplications et menaces. Le roi lui-même fut presque tué par l'artifice. Enfin, le désordre s'étant répandu par tous les rangs, il ne resta plus aux Templiers qu'à couvrir la retraite. Comme ils avaient devancé les Chrétiens dans l'attaque, ils le suivirent dans leur fuite qu'ils protégèrent avec une valeur réfléchie, digne des plus grands éloges. Trente-trois Frères du Temple et le Maréchal des Hospitaliers périrent pendant la retraite. Le camp reçut les fuyards, et l'on vit encore les Templiers se tenir devant l'entrée et la défendre aux Infidèles [Bernhard Thesaurar].

Cet avantage n'adoucit point la gêne de Damiette. Le Sultan qui n'espérait plus délivrer sa ville fit aux Chrétiens, par un prisonnier, des propositions auxquelles ils n'auraient pu s'attendre. Il voulait leur rendre la Sainte-Croix, les prisonniers tenus au Caire, à Damiette et dans tout l'empire, avec Jérusalem et toutes les autres places, excepté Krak et Mont-Réal. On délibéra sur ces offres éblouissantes que les chefs de la Croisade conseillaient d'accepter. Le Patriarche et les deux Ordres, qui connaissaient mieux le terrain et qui pénétraient la ruse du Sultan. S'opposèrent à la négociation. En effet, les deux places que l'ennemi se réservait étant situées de manière à lui permettre d'inquiéter sans cesse Jérusalem, les plus belles clauses ne donnaient aucun avantage aux Chrétiens; objection solide qui ne prévalut au Conseil qu'après d'aigres débats.

Le Sultan cherchait toujours à jeter des troupes dans la ville, où deux cent quarante hommes s'introduisirent à travers le sommeil du camp ; d'autres allaient les suivre, si quelques Chrétiens réveillés n'eussent fait prendre l'alarme à leurs compagnons. Telle était alors l'indiscipline des armées européennes.

Défendue plus d'un an, Damiette se rendit le 5 novembre, non à la stratégie des Chrétiens, mais à la famine qui régnait depuis longtemps dans la ville. Des témoins en ont raconté l'effroyable misère ; on y trouva des morts en foule et pas une trace de vivres.

La reddition de Damiette mit l'Orient en émoi. Plusieurs princes, parmi lesquels on remarque Coradin, sultan de Damas, se liguèrent contre les Croisés qui triomphaient une fois par hasard. Coradin quitta l'Egypte et prit d'abord Césarée, ensuite le château des pèlerins que le Temple avait pourvu de vivres et qu'il défendit à sa gloire, peu de temps après avoir chassé les Sarrasins des alentours d'Acton. Saphet, château de l'Ordre, fut détruit par Coradin, quand les Chevaliers en eurent ouvert les portes, sur l'autorisation que leur envoya le Grand-Maître.

Dans l'intervalle, les Croisés restaient immobiles à Damiette, sans savoir que faire de cette prise : leur plan n'était pas allé plus loin. Ils durent croire qu'il aurait valu mieux accepter les offres du Sultan et renoncer à prendre la ville, dont l'occupation emportait peu d'avantages et beaucoup de sacrifices.

L'armée, réduite à l'inaction, exhala sa colère en murmures contre les deux Ordres qui n'y pouvaient rien. Le duc de Bavière osa dire enfin qu'il n'était pas venu pour croiser les bras, mais pour combattre les ennemis de la foi. Tous semblèrent sortir d'une léthargie et le conseil résolut de marcher [16].

On se dirigea sur le Caire. Une seconde fois, le Sultan offrit pour Damiette trente ans d'armistice, la liberté des captifs, tout le terrain qu'il avait repris, Jérusalem et l'argent nécessaire pour la rebâtir, en gardant le seul port de Krak, conditions éminemment favorables aux vainqueurs. Chacun pencha vers la paix, même le Temple et l'Hôpital. qui réformèrent leur premier avis devant l'utilité de ces clauses, et l'expérience de la ruineuse occupation de Damiette. Elle ne servait que les vues du cardinal Pelage, légat papal, dont la volonté souveraine dans le conseil fit donner un royaume pour une ville.

Le projet d'investir le Caire fut adopté; mais le Sultan coupa les communications et détourna le cours du Nil par des canaux que les Musulmans connaissaient seuls ; les Chrétiens submergés perdirent munitions et vivres. Saphet et Coradin, les frères du Sultan, leur fermaient le retour. Ils proposèrent le combat au Sultan qui dit n'en plus avoir besoin. Toutefois il ne refusa pas d'entrer en pourparler. Un armistice conclu pour huit ans lui restitua Damiette et les prisonniers musulmans contre la Sainte-Croix et les prisonniers faits par son frère Coradin ou par lui-même. Le Grand-Maître Thomas de Montaigu, suivi d'autres personnages, porta cette nouvelle à Damiette. Elle voulut se défendre ; mais on manqua d'hommes et d'argent.
L'armistice livra donc à l'ennemi la ville réduite au prix de tant d'efforts, qu'on aurait pu, naguère, échanger contre un vaste royaume et qui ne rapporta que la Croix et les prisonniers. Encore les Chrétiens durent se réjouir que le Sultan leur imposât des conditions aussi douces. Il fit jeter des ponts pour leur passage et les nourrit pendant quinze jours que durèrent les négociations. Jean, roi de Jérusalem, pleura sur la malheureuse fin de la campagne exécutée en dépit de ses remontrances [Bernhard Thesaurar, an, 1222]. C'était la fin ordinaire d'une Croisade : les divisions et les lâchetés perdaient toujours les plus belles entreprises.

Passons à d'autres événements contemporains de Thomas de Montaigu, qui concernent l'Ordre.

Henri II et Richard avaient fait don aux Templiers de quelques Maisons à la Rochelle. Les rois d'Angleterre exerçaient dans le port un certain droit d'aubaine : tout étranger devenait leur serf après un an de séjour. Cette ancienne prérogative fut usurpée par le Temple, et Henri II s'en plaignit au pape Honoré III qui commit plusieurs abbés pour instruire et juger le différend (1223) [Rymer, t, I, p. 258].

Les Frères du Temple paraissent ne s'être établis qu'alors en Brandebourg, où l'Institut fit bientôt de tels progrès qu'il forma dans la Marche et l'Esclavonie un Bailliage ou Préceptorat constituant une Grande-Maîtrise particulière. Laurence, évêque de Lébus, l'introduisit dans l'électorat en lui donnant à deux reprises (1229 et 1232) des dîmes considérables. Le duc de Poméranie-Barnim céda le pays de Bahnen et tous ses droits sur celui de Custrin au Collège du Temple (1234) [17].

En 1229, Armand de Périgord, Grand-Maître Provincial pour la Sicile et la Calabre, reçut des donations et des franchises importantes de l'empereur Frédéric II, qui confirma par la même lettre les anciennes possessions templières dans ce pays [Du Puy, p. 148].

Quoique Frédéric leur eût accordé souvent des grâces, il s'éleva peu de temps après des altercations entre les deux Ordres et le souverain qui voulait les dépouiller de plusieurs biens et revenus. Grégoire IX. auquel ils s'adressèrent en commun, exhorta l'empereur à respecter les Ordres qui maintenaient encore le royaume de Jérusalem (1231).

Ici nous devons faire voir avec quelle malice et quelle partialité Du Puy défigure l'histoire. Cet écrivain affirme que les Frères du Temple méritaient d'être spoliés par Frédéric. « L'empereur, dit-il, était en la Terre-Sainte; il communiqua son dessein à quelques Templiers qui en donnèrent aussitôt avis au Soudan de Babylone, et comme il pourrait le surprendre. Le Soudan, infidèle qu'il était, détesta tellement cette perfidie, qu'il en averti l'empereur qui trouva l'avis si certain, que depuis il fit une étroite alliance avec cet infidèle [Du Puy,p. 6]. — Pas un mot n'est vrai dans ce singulier récit. Du Puy n'a-t-il pas mieux connu l'histoire, a-t-il ignoré les rapports de l'empereur et du Pape, ou refusé la lumière des chroniques contemporaines [18] ?

Nous rétablirons les faits. Grégoire excommunia l'empereur Frédéric (1227) qui; pour cause de maladie, ne pouvait faire la Croisade commencée. L'an d'après il accomplit son vœu, mais sans s'être racheté de la sentence spirituelle, et cette faute irrita de nouveau le Saint-Père jusqu'à le pousser aux dernières violences. Par ses ordres, les évêques de Milan et de Vérone fermèrent le passage de leurs États et dépouillèrent les Croisés [Conrad. Abb. Urlspergens].

Frédéric entra dans Acton ; mais le Patriarche et le sacerdoce s'éloignèrent de l'hérétique. Sous le poids d'une réprobation générale, il se rendit en Chypre et fit demander par ambassade au sultan Mélahadin [Connu sous le nom de Mélik-Kamel] le royaume de Jérusalem pour son fils Conrad. Mélahadin répondit qu'il réfléchirait. Entretemps, des lettres papales délièrent le Patriarche et les Maîtres des trois Ordres mixtes de toute obéissance à l'empereur. Le Sultan lui céda Jérusalem, Bethléem, Nazareth et Sidon, arrangement, qui fut annulé par le Souverain Pontife. Notre cadre ne nous permet point de nous étendre sur ces occurrences [19].

Si la guerre sainte avait pu triompher, c'est par la Croisade de Frédéric. Mais la roideur du Pape l'empêcha de réussir, comme la discorde et l'envie avaient perdu ses devanciers. L'intervention gênante de Grégoire accabla surtout les Frères du Temple et de l'Hôpital, ployés sous sa dépendance, auxquels leur jalousie réciproque faisait une loi de suivre la même marche. L'Ordre Teutonique, qui n'avait pas beaucoup à craindre de Rome, tint pour l'empereur [Conrad. Abb. Urlspergens]. Les deux autres Chevaleries religieuses lui furent contraires par le commandement formel du Saint-Siège; aucun historien grave ne les accuse d'avoir trahi Frédéric au Sultan. Du Puy, qui fait un crime aux Templiers de leur soumission à l'Église, garde le silence sur la conduite absolument semblable des Hospitaliers. Le panégyriste de Philippe-le-Bel avait pris le parti de justifier la suppression de l'Ordre : une fraude historique ne pouvait l'arrêter.

Henri III, roi d'Angleterre, emprunta huit cent livres tournois au Temple de Londres, pour conquérir l'ile d'Oléron, et promit de le rembourser à partir de 1235, par un paiement annuel de deux cent livres au Grand-Prieur Robert de Santford [Rymer, p. 542].

Après la mort du sultan de Halapin, que suivit l'expiration d'un armistice, les Templiers, désirant reprendre le fort de Guascum, au sud d'Antioche, se préparèrent à l'assiéger ; mais ils furent surpris et taillés en pièces par l'ennemi. Plus de cent Frères de l'Ordre, trois cents archers, nombre de personnages du siècle et de fantassins furent occis dans l'action : les Musulmans y perdirent environ trois mille hommes.

Réginald d'Argenton, qui portait en cette funeste rencontre l'étendard du Temple, ne le rendit qu'avec l'âme. Il fut fort regretté. Quand le monde chrétien apprit le sort de la Sainte Milice, les Templiers et les Hospitaliers d'Europe s'armèrent pour la soutenir. Les premiers requirent le concours de l'empereur qui ne sentit nulle envie de recommencer une œuvre ingrate, si méconnue la première fois. Vers ce temps mourut le Grand-Maître Thomas de Montaigu.

XXI — Armand de Périgord
Nous avons vu qu'Armand de Périgord était en 1229 Grand-Prieur de Sicile et de Calabre. Promu dix ans plus tard au gouvernement de l'Ordre, en 1244 il ajouta son nom à ceux des Grands-Maîtres immolés dans les guerres orientales.

En 1240, les Johannites possédaient trois mille cinq cents chapelles, outre les Maisons sans chapelles, et les Templiers en comptaient sept mille cinquante, bien qu'ils eussent beaucoup perdu sous Frédéric II.

Le comte Richard vint à propos d'Angleterre (1240), au moment où les disputes des Chrétiens asiatiques, et surtout celles des deux Ordres rivaux, n'étaient plus loin d'éclater en voies de faits. On reconnut qu'il serait sage d'utiliser la guerre ouverte entre les princes sarrasins pour faire trêve avec quelques-uns; mais on se divisait sur le choix. Le Temple proposa Saleh, sultan de Damas; et c'était le meilleur avis. Toutefois Richard le rejeta, disant qu'il aimait mieux fortifier Ascalon, ce qui satisfaisait aussi les Templiers. Pendant qu'on délibérait encore, le sultan du Caire fit des ouvertures très-acceptables à Richard qui, contre son gré, les écouta, parce que chacun le désirait et qu'elles accordaient la liberté de beaucoup de Frères du Temple et de l'Hôpital. Ce temps d'arrêt dura peu.

L'Ordre ne cessa point de harceler le sultan du Caire ; il fit avec le sultan de Damas une ligue hostile à l'Egypte, qu'il provoqua de la sorte à violer l'armistice. Le sultan du Caire, aidé des Corasmins, peuple d'Asie, envahit les territoires du sultan de Damas et des Croisés. Il sema partout la désolation et mit en déroute l'armée syrio-chrétienne, réunie devant Gaza, que commandait Mansour-Ibrahim. Revers terrible qui frappa spécialement les trois Ordres militaires.

Le Grand-Maître et trois cents Chevaliers du Temple restèrent parmi les morts. Le Grand-Maître de l'Ordre Teutonique eut ta même destinée. Le Grand-Maître de l'Hôpital, Guérin de Montaigu, fut pris. Trente-trois Templiers avec quelques Servants, vingt-six Hospitaliers sur deux cents et trois Frères Teutons parvinrent à fuir [Mathieu Paris].

Un si grand désastre n'avait pas encore fondu sur l'Ordre du Temple et la Chrétienté. Le royaume de Palestine perdait ses infatigables défenseurs et nul secours ne pouvait être attendu d'Occident, quoique le patriarche Robert écrivît en toute hâte aux prélats d'Angleterre et de France. Les Frères épargnés par le fer choisirent entre eux Guillaume de Roquefort, pour remplir l'Office Suprême, jusqu'à nouvelle élection.

A cette époque se rencontre le premier Grand-Maître dans l'électorat de Brandebourg, nommé Gebhard, qui reçut de Laurence, évêque de Lébus, des biens importants (1241). Zeilenzig lui fut aussi donné (1244) [Buchholz, p. 191].

XXII — Guillaume de Sonnac
Guillaume de Sonnac fut nommé dans ce moment difficile. Le comte Richard, depuis roi de Rome, envoya quelque argent aux Chrétiens. Leur espoir de secours était dans le vœu prononcé par Saint-Louis en 1244, et qu'aucune raison d'État ne pouvait l'empêcher d'accomplir.

Innocent IV travailla pour la Croisade avec ardeur au Concile de Lyon (1245); dans cette assemblée, il fit lire la lettre du Patriarche, et déposa Frédéric II, mesure que motivèrent en partie les spoliations que l'empereur avait commises sur le Temple et l'Hôpital, et qu'il se refusait à réparer.

Saint-Louis commença le passage et descendit en Chypre (1248). Pendant son séjour dans l'île, le roi de France régla de nouvelles disputes survenues entre les Ordres. L'année suivante, il fallut arrêter le plan de campagne. Les Templiers et les Hospitaliers proposèrent de marcher sur Acton; mais le roi de Chypre, croyant qu'il convenait d'aller à Damiette, se croisa, sous condition qu'on prendrait ce parti. Les Chrétiens s'embarquèrent et détruisirent la flotte du sultan Nodgemeddin-Ayoub; Damiette fut incendiée et désertée par ses habitants. Bientôt maîtres du feu, les Chrétiens firent route pour le Caire ; à Mansourah, leurs armes dispersèrent les Ottomans (1250).

Tant de succès furent perdus par la témérité d'un seul homme. En dérision de sa promesse à Louis, le comte Robert d'Artois donna la chasse aux Infidèles et dépassa les Frères du Temple, qui, se jugeant offensés, puisqu'ils étaient d'avant-garde, le rejoignirent avec deux cents Anglais de leur suite et le laissèrent en arrière à son tour. Les ennemis couraient sur le chemin du Caire, et les Croisés entrèrent pêle-mêle avec eux à Mansourah. Robert fit alors l'imprudence de suivre les fuyards par-delà cette ville, quoi qu'en eût le sage Guillaume de Sonnac. En vain il lui représentait le péril ; en vain il lui disait que c'était folie de s'aventurer plus loin ; le comte appela traîtres les Chevaliers des deux Ordres. Furieux de l'outrage, ils oublièrent tout pour atteindre les musulmans, si bien que, refoulés par le nombre, ils se virent enfermés dans Mansourah.

Les gens de la ville accablaient les Croisés de pierres et de feu grégeois. Robert, le comte de Salisbury, deux cent quatre-vingts Templiers et nombre d'autres hommes de rang périrent. Guillaume en sortit borgne. Louis vint à leur aide et trouva les ennemis sous la ville, qui faillirent le prendre dans le feu du combat. La nuit sépara les armées. A l'honneur des Chrétiens, la supériorité numérique des Ottomans ne les fit pas rompre. Quelques jours après on rendit une seconde et très-chaude bataille, où le sultan Moadhem-Touran-Shah donna le signal de la retraite.
Le Grand-Maître succomba dans une de ces rencontres.

Au lieu de retourner à Damiette, le roi resta dans son camp, que désolaient la famine et les épidémies. Moadhem offrit une paix avantageuse aux Croisés, s'ils consentaient à lui remettre Louis en otage.

Quand ils voulurent rétrograder, le roi tomba malade. Il fallut faire la paix avec le Sultan qui consentit à tout pour recouvrer Damiette. Par une faute des Chrétiens, le roi dut se livrer aux musulmans avec tout son monde. Dans cette nouvelle situation, Damiette et les captifs furent le prix d'une trêve décennale. Les Chrétiens conservaient leurs possessions et Louis rachetait ses soldats pour cent mille besants d'or. Il demanda des avances aux Templiers ; mais le commandeur Etienne d'Outrecourt s'excusa sur un serment qui leur défendait d'ouvrir le trésor du Temple, sinon au Grand-Maître. Les officiers du prince fouillèrent les navires de l'Ordre et s'apprêtaient à forcer une caisse d'argent, lorsque le Maréchal, livrant la clé, laissa prendre la somme nécessaire [Dupuy, p. 161].

L'extravagance du comte Robert venait de perdre encore une Croisade.
Nous croyons que, vers ce temps, le margrave Othon fut Grand-Prieur de Brandebourg [Buchholz].

XXIII — Renault de Vichy
Grand-Maître de France, puis Maréchal du Temple, Renauld de Vichy parvint en 1250 à la dignité magistrale.

Les rancunes épiscopales se manifestaient en tous pays contre l'Ordre, par des vexations sur lesquelles le Pape ouvrit les yeux. La bulle de 1255 interdit formellement ces injustices aux évêques [Rymer]. Ils avaient souvent empêché les Frères de mettre en œuvre leurs privilèges concernant les aumônes et d'autres articles. Alexandre IV les réprimanda dans une bulle nouvelle qui confirmait toutes les dispositions que la Cour de Rome avait prises pour le Temple dès l'origine [Rymer, p. 577].

Renauld de Vichy mourut en 1256. Le nom de son successeur paraît s'être perdu, car ce n'est qu'en 1264 que la chronique parle d'un nouveau Grand-Maître.

Pendant l'interrègne, si l'on peut nommer ainsi cette lacune historique, Witekind était Grand-Maître au Brandebourg. Les Chevaliers du pays reçurent (1259) de Boleslaus, duc de Pologne, un riche présent : le pays de Custrin [20]. Ils échangèrent encore un grand territoire contre un district des margraves de Brandebourg (1262) [21].

En 1259, l'animosité fut si grande entre les Frères du Temple et ceux de l'Hôpital qu'ils se livrèrent un combat où les premiers eurent fort le dessous [Du Puy, p. 535].

XXIV — Amalric de la Roche
Les annalistes citent Amalric de la Roche comme Grand-Maître, en 1264. Il avait été Grand-Prieur de France.

En 1266, la garnison du château de Saphet parlementa pour la vie avec Bendocdar, sultan du Caire, qui voulut en vain, après coup, faire les vaincus musulmans. Outré de leur résistance, il les passa tous au fil du glaive. Six cents Frères du Temple y perdirent la vie; deux moines franciscains, dont les discours avaient soutenu le courage de leurs compagnons, et le Prieur de l'Ordre, furent écorchés, fustigés et décollés. Une lumière, visible même aux Sarrasins, brillait sur le lieu du supplice, que le Sultan fit couvrir [Du Puy, p. 168].

L'ingrate histoire tait le nom de ce Prieur-martyr, aussi digne que d'autres de la canonisation. Plus noire fut l'ingratitude du siècle suivant qui regarda son Ordre comme une secte plus exécrable que celle de Mahomet.

Clément IV déplora ce malheur. « Comment, dit-il, après une si grande perte, trouver assez de gentilshommes et de personnes nobles pour remplacer ceux qui ont péri dans ces occasions [Vertot, t, I, p. 405] ? »

Amalric prêta des sommes à Charles, roi de Sicile; le Pape le remercia, lui donna l'autorisation et promit de confirmer l'engagement du monarque (1267) [Du Puy, p. 169].

XXV — Bérauld ou Bérard
Thomas Bérauld, le successeur d'Amalric, occupa le trône Templier de 1270 au 25 mars 1274, jour de sa mort.

Le Grand-Maître est accusé dans l'information d'avoir introduit au sein de l'Ordre l'horrible coutume de renier Christ [Du Puy, p. 18].

XXVI — Guillaume de Beaujeu
Le Magistère, exercé provisoirement par Guifride de Salvaing, au décès de Thomas Bérauld, passa dans les règles à Guillaume de Beaujeu, le 13 mai 1274. En la même année, assistant au concile de Lyon, il prima tous les représentants du siècle, après le seul Grand-Maître de l'Hôpital [22]. Ce fut à cette assemblée que Grégoire X projeta de refondre les Ordres. Le chef de l'Église voulait en conserver deux, les cisterciens et les moines noirs, et des Chevaliers du Temple et de l'Hôpital en faire un troisième [23].

Edouard Ier reçut quittance du paiement de 30,307 livres tournois que l'Ordre avait cautionnés en Palestine pour la couronne d'Angleterre (1234) [Rymer, t. II, p. 34]. Tels étaient les prêts que les Templiers pouvaient faire aux souverains.

Jacques, roi d'Aragon et de Majorque, s'empara de la Maison Templière de Roussillon, qui relevait directement du Pape, prétendant qu'elle appartenait à la commanderie d'Aragon. Les Chevaliers portèrent plainte à Nicolas IV et le Pontife les rétablit dans leurs droits (1290) [Du Puy, p. 172].

Quelques possessions de peu d'importance étaient restées aux Chrétiens d'Asie. La Providence, pour les leur ôter et tarir à jamais la source de ces effusions de sang, suscita Moloch Sapherot, sultan d'Egypte. Après de grands ravages et la prise de Tripoli, Beyrouth, Sidon et Tyr, Moloch investit Acton, la dernière ville chrétienne, qui soutint un siège de deux mois, puis fut réduite et démolie à ras du sol, malgré la bravoure que déployèrent les soldats de la Croix et surtout les Templiers. Guillaume de Beaujeu succomba dès l'abord, en voulant défendre la porte de Saint-Antoine contre une irruption sarrasine. Le plus petit nombre se sauvèrent sur leurs vaisseaux, dont un, monté par le Patriarche, s'enfonça sous le poids dès hommes. Les Musulmans tuèrent plus de trente mille Croisés.

Ce désastre était dû principalement à la division des Européens de pays différents qui se disputaient la suprématie [Annal. Steronis, ad. a. 1291]. Leurs discords, suivis du découragement, compromirent toujours le succès des Croisades, et le royaume de Jérusalem en fut tant ébranlé qu'un jour, après cent quatre-vingt-dix ans de vie précaire, il s'écroula sur le tombeau de six millions de Chrétiens et de peut-être quatre millions d'Infidèles.

Le Grand-Maître des Hospitaliers avec sept de ses Frères et dix chevaliers du Temple survécurent au massacre.

XXVII — Le Moine Gaudin
Les dix Templiers sortis du sac d'Acton se donnèrent pour chef Le Moine Gaudin qui les emmena dans l'Ile de Chypre, chargés des Saintes Reliques et d'une partie du trésor [Du Puy, p. 174].

L'Europe apprit avec consternation qu'en Orient tout était perdu. Nicolas fit convoquer dans tout le monde chrétien des synodes provinciaux pour délibérer sur ce qu'on devait faire. Chacun s'avoua que le mal résidait dans la division des Chevaleries Religieuses et des autres Croisés. Par suite, les Pères du synode de Salzbourg (1291) soumirent au Pape un plan de réunion des trois Ordres mixtes : moyen qui prévenait les dissidences futures, sans réparer les pertes du Christianisme oriental. Des envoyés se rendirent à Rome ; mais la mort de Nicolas suspendit l'action de l'Église [Hardouin, t, VII, p. 1163].

Boniface VIII, son successeur, montra beaucoup d'intérêt pour les Templiers, leur remit la défense de Chypre et les recommanda particulièrement au roi d'Angleterre (1295) [Rymer, t, II. p. 683].

Nous ignorons comment Le Moine Gaudin a fini.

XXVIII — Jacques de Molay
Ce dernier et malheureux Grand-Maître fut recommandé par Boniface à Jean, roi de l'Ile de Chypre qu'il habitait (1298). Le Saint-Père rappelant tous les services de l'Ordre à la mémoire du monarque, lui commanda (1299) de faire une restitution complète des revenus dont il avait privé le Temple et l'Hôpital et de révoquer le décret par lequel il avait interdit aux membres des deux Collèges la construction de maisons et d'églises dans ses États [Vertot, t, I. p 622].

Lorsque Gazan, roi des Tartares, eut pillé la Syrie, il députa des ambassadeurs à Rome pour offrir le pays aux Chrétiens et s'y faire envoyer les trois Ordres.

Clément V, assis dans la chaire apostolique, commença de longue main et sans doute sur l'instigation de Philippe-le-Bel, roi de France, à menacer l'Ordre d'une révolution. Le nouveau Pape reprit le projet de fondre en un seul les Instituts du Temple et de l'Hôpital; Jacques de Molay, dans une justification de haute convenance, lui développa péremptoirement les dangers de cette mesure (1306).

Encore que la Terre-Sainte fût retombée au pouvoir des ennemis de la foi, les Chrétiens méditaient une nouvelle Croisade. Le Souverain Pontife recueillit des consultations, et Molay donna la sienne qui prouvait à la fois sa profonde science militaire et le vaste déploiement de forces qu'eût nécessité l'entreprise. Il supplia Clément de ne point la faire avec peu de monde, mais de rassembler tous les princes et les soldats de l'Europe (1306) [Du Puy, p. 179].

Le Grand-Maître, que soutenait Amaury, prince de Tyr, prit Tortose en Syrie, et combattit bravement les Sarrasins. Sa vaillance fut souvent couronnée de succès. Enfin, chassé par le sultan du Caire, il crut trouver asile en France, où la sanguinaire avarice d'un roi lui réservait le plus affreux martyre.
Sources : Essai sur l'Histoire de l'Ordre des Templiers — Traduit de l'Original Allemand par Edourard Fraissinet — Publié à Leipzig en 1779

Notes
1 — Hoffmann, Annal. Bamberg., I. 3., § s.
2 — Dans tout le cours de l'ouvrage, notre auteur donne cette dénomination abrégée aux Hospitaliers de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. (Note du Trad.)
3 — La règle elle-même les nomme : Pauperes Commilitones Christi Templique Salomoniaci.
4 — On sait qu'à cette époque les Chevaliers n'entraient pas en grade comme les nobles d'aujourd'hui. Tout homme qui n'était ni prêtre ni serf pouvait aspirer à la Chevalerie, d'où la noblesse moderne tire son origine. La particule de n'indiquait pas leurs noms, mais la ville, le village ou le hameau qu'ils habitaient. Plus tard, le nom de leur résidence est devenu leur nom de famille.
5 — Voici la traduction de ce passage de la lettre de Saint-Bernard au Patriarche, écrite vers 1155 : « Je vous prie de fixer souvent vos regards sur la Milice du Temple, et d'ouvrir votre A cœur si pieux à ces braves champions de l'Église. Vous serez agréable à Dieu comme aux hommes, en les protégeant, eux qui mettent leur vie pour leurs frères. »
6 — Ces maisons s'appelaient Temples, Maisons du Temple, Domus, Domus Templi.
7 — Robertus de Mante, ad. a. 1131.
8 — Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. (Note du Trad.)
9 — Saint-Bernard, qui citait de mémoire, a confondu les deux bandes de la tribu de Jacob avec les trois bandes d'enfants (a), inexactitude que ni les éditeurs de ce Père, ni notre auteur n'ont relevée. (Note du Trad)
10 — Presque tous les historiens du temps donnent cette lettre.
11 — Du Puy fait tomber en 1187 la lettre que Terric écrivit à Henri au roi d'Angleterre, après la prise de Jérusalem. Ce monarque mourut le 6 juillet 1188. (Note du Trad.)
12 — C'est là que dit Du Puy, si toutefois il veut parler du même Terric dont il est question dans une Charte de cette année.
13 — Baluz., Epist. Innocenti II, t. 1, p. 334 et suiv.
14 — Bromton, Du Puy, p. 41, diffère un peu de Bromton et tait prudemment le nom des deux derniers Ordres.
15 — Baluz, l. c, t. I, p. 508. — Du Puy, p. 135.
16 — Histoire, Episcop Camin, in Ludewig SS. Rer Germ. T, II p. 581
17 — Le Grand-Maître transmit cette nouvelle au Vice-Grand-Prieur d'Angleterre. Marcel, en 1222. — Voir Du Puy, p. 145.
18 — Buchholz, Geschichte der Churmark Brandebourg, T, II, p. 191.
19 — Conrad. Abb. Urlspergens, ad. an. 1228, que cite Du Puy, raconte l'affaire tout différemment.
20 — S. Hœherlin, Auszug aus der allgemeinen Weltgeschichte. (Extrait de l'Histoire Universelle), t, I. p. 758 et suivantes.
21 — Gerken. Codex Diplomatique de Brandebourg, t. I, p. 46.
22 — Gerken. Codex Diplomatique de Brandebourg, t. I, p. 212.
23 — Concilia Géneral. Harduini, t. VII, p. 687 — Magn. Chronic. Belg. ap. Pittor., t. III, p. 283

Sources : Essai sur l'Histoire de l'Ordre des Templiers — Traduit de l'Original Allemand par Edourard Fraissinet — Publié à Leipzig en 1779

Avant Propos
Deux faits, dans l'histoire moderne, intéressent au plus haut degré l'Église et tout le monde chrétien : ce sont la destruction des Templiers et l'abolition des Jésuites. Les deux plus puissants Ordres du catholicisme furent dépouillés en peu de temps de leurs privilèges. Des auteurs, contemporains de la chute du Temple, déclarent qu'ils ne pourraient y croire s'ils n'en eussent été témoins; et nous-mêmes avons traité de fable la ruine de l'Ordre de Jésus jusqu'au jour où nous en avons reçu les preuves.

La France exerça dès l'origine une action prépondérante sur les affaires de l'Église. Souvent les rois de ce pays commandèrent aux Papes, et leur dictèrent des actes auxquels nul autre pouvoir ne les aurait déterminés. L'influence française se montre principalement dans les Ordres. Lorsqu'Innocent VIII voulut supprimer les Chevaliers de Saint-Lazare, dont sortirent depuis les Hospitaliers, le parlement y mit opposition, et Paul IV et Paul V durent annuler les bulles lancées contre eux.

Philippe-le-Bel abolit l'Ordre des Templiers. Et qui prit la plus grande part à la destruction des Jésuites ?
Ce fut encore un roi de France. Si cette institution, tombée au dix-huitième siècle, eût péri quatre cents ans plus tôt, Ricci n'aurait pas fait meilleure fin que Jacques de Molay : la torture, les cachots et les flammes auraient enveloppé ses frères dans une tragédie aussi sanglante que la mort des Chevaliers du Temple, reconnus innocents par des princes, des évêques et des ecclésiastiques de tous rangs, mais détruits par le Souverain Pontife, parce que Philippe le voulait.

Plusieurs historiens du temps s'élèvent à haute voix contre cette iniquité. L'auteur du « Chronikon Astense — [1] qu'il faut lire surtout comme un témoin oculaire, dit, dans son exposé succinct : « Le Pape sait si la sentence est juste ; mais le Dieu vengeur qui veille, et qui sait toutes choses avant qu'elles arrivent, fera bientôt connaître, à la prochaine croisade, ce qu'on aurait dû faire. »

François Pipin [2] blâme ouvertement ce coup d'état; il forme des vœux pour la restauration de l'Ordre, qu'il attend de Dieu seul.

Mais personne ne s'émeut de la chute du Temple comme l'archevêque de Florence, Saint-Antonin. Ce prélat s'en plaint avec énergie et nous en trace une peinture si vive que le père Daniel seul y put rester insensible.

Les écrits de Daniel, d'Alexandre Natalis et de Du Puy, trois écrivains français, défendent le roi de France et condamnent l'Ordre.

Daniel qui se fait l'apologiste de tous les attentats à la sainteté de la religion, commis par les rois de France, affirme que les Templiers étaient une race impie, une secte plus exécrable que celle des Mahométans, et que les poursuites de Philippe-le-Bel et de Clément V furent agréables à Dieu [3]. Que dirait-il aujourd'hui s'il avait à parler de l'abolition de son Ordre ?
Promettrait-il également la bénédiction divine à l'œuvre de Clément XIV et de Louis XV ?

Alexandre Natalis [4], docteur de la Sorbonne, s'attache étroitement à sauver l'honneur de Philippe-le-Bel, dans une longue dissertation, destinée à prouver, par des autorités modernes et par une argumentation digne de son école, que la politique du roi fut conforme à la justice.

Les Protestants se posent en défenseurs de l'Ordre. Leibnitz [5] et Thomasius [6] regardent sa destruction comme une violation du droit naturel et du droit des gens. Que si de loin en loin un auteur protestant soulève quelque accusation contre le Temple, il la fonde sur le texte banal de la corruption de l'Église, qui s'appliquerait avec bien plus de force à d'autres corps religieux.

Une histoire de l'Ordre des Templiers est encore à faire. Du Puy [7] ne raconté que leur persécution, et toujours en avocat de Philippe. Sa partialité, souvent méchante, flétrirait son caractère, n'était Thomasius, grand connaisseur d'hommes, qui déclare que sou apologie du roi n'est pas sérieuse. Gurtler [8], dans sa courte esquisse historique, rapporte des événements qui concernent moins le Temple que l'histoire générale de l'Église. Dithmar [9] consigne quelques faits.

Nous avons tâché, dans cet essai, d'être complets et justes autant que nous le permettaient nos matériaux : fragments conservés de quelques annalistes, et documents d'origine plus authentique.

Les lacunes abondent dans l'histoire du Temple. On ne connaît ni son développement, ni son organisation intérieure et secrète, ni sa règle dans chaque province. Du sein de compilations volumineuses et vides, il a fallu tirer quelques détails qui, malgré leur insuffisance, seront les pierres du monument que la postérité doit à cet Ordre, plus grand encore par ses malheurs que par sa fortune.

L'histoire qu'on va lire est divisée en deux parties : l'une comprend l'existence de l'Ordre sous chaque Grand-Maître ; l'autre, sa funeste destruction. En nous imposant la tâche d'extraire quelques passages d'une foule d'auteurs divers, nous avons dû par cela même donner à notre livre la forme d'une réunion de fragments.

Notes
1° Murator, Scriptor, t. IX, p. 193.
2° In chronico ap. Murator, t. IX
3° Histoire de France, t. III.
4° Histoire Ecclesiastique Veter, et Noui Testam. Paris, 1730, t. VII. L'archevêque Mansi fit paraître, en 1771, une édition continuée de cet ouvrage. Venise, 9 vol. in-folio.
5° In Cod. Jur. gent. diplom.
6° Diss, de Templarior. Equitum Ordine sublato. Voir aussi Wichmansbausen, De extinctione Ord. Templar.
7° Histoire de l'Ordre militaire des Templiers, ou Chevaliers du Temple de Jérusalem. Nouvelle édit. Bruxelles, 1751, 4 vol.
8° Historia Templarior. Observat, ecclesiast. aucta. Ainslelod., 1691, 8 vol.
9° Vom Meisterthum des Johanniter-Ordens, § 14.

Sources : Essai sur l'Histoire de l'Ordre des Templiers - Traduit de l'Original Allemand par Edourard Fraissinet - Publié à Leipzig en 1779

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