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Procès des Templiers, Jules Michelet, Lavocat, Trudon-des-Ormes, Templiers par région

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    Fusion des deux Ordres

    Suite a un ordre de Clément V sur l'éventuelle fusion des Ordres de l'Hûpital et des Templiers, Clément V demande l'avis du Grand-Maître du Temple Jacques de Molay, sur cette fusion. Le même ordre fût envoyé au Grand-Prieur des Hospitaliers à la même époque.

    Enquête pontifical sur l'opportunité de la fusion des deux Ordres des Templiers et des Hospitaliers.

    Réponse de Jacques de Molay:
    1. — Ce mémoire est rapporté à l'année 1305, avec peu de vraisemblance, par Delaville Le Roulx (les Hospitaliers en Terre-Sainte et à Chypre). Il fut rédigé par Jaques de Molay en exécution de l'ordre que lui adressa la pape Clément V de venir en cour romaine pour délibérer sur l'aide qu'il avait lieu de fournir aux roi d'Arménie et de Chypre ; nous n'avons pas conservé cet ordre, mais nous avons celui qui fut adressé au maître des Hospitaliers le 6 juin 1306. Molay avait rédigé deux mémoires: l'un sur la Croisade, l'autre sur l'union des ordres du Temple et de l'Hûpital. L'œuvre de Molay a été prise en considération par les agents de Philippe le Bel car il en existe une copie dans le registre de Pierre d'Etampes aujourd'hui a la Bibliothèque nationale, manuscrit latin 10919) et nous savons qu'il se trouvait parmi les papiers que l'on inventoria au domicile de Guillaume de Plaisians après la mort de ce ministre.
    Très Saint-Père, à la question que vous me posez relativement à l'union des ordres du Temple et de l'Hûpital, moi maître du Temple, je réponds comme suit: Assurément, je me rappelle que lorsque le pape Grégoire était au concile de Lyon avec saint Louis (2) et beaucoup d'autres personnes ecclésiastiques et séculières, il s'y trouva aussi frère Guillaume de Beaujeu, alors maître du Temple, et avec lui beaucoup d'autres frères de notre ordre, des anciens ; frère Guillaume de Courcelles, de l'ordre de l'Hûpital de saint Jean, y fut également avec plusieurs autres frères et discrètes personnes de cet ordre. Et ledit pape et saint Louis voulurent avoir un avis relativement à l'union susdite et leur intention était de ne faire qu'un ordre de tous les ordres militaires religieux. Mais on répondit que les rois d'Espagne n'y consentiraient pas du tout a cause des trois ordres militaires religieux qui sont établis chez eux C'est pourquoi l'on décida qu'il valait mieux que chaque ordre restât dans son état. De même, au temps du pape Nicolas IV, par suite de la perte de la Terre Sainte qui eut lieu alors, parce que les Romains et d'autres peuples se plaignaient avec force qu'il n'eût pas envoyé un secours suffisant pour la défense de ladite Terre, le pape, pour s'excuser en quelque façon et pour montrer qu'il voulait remédier à la situation de la Terre Sainte, renouvela ou reprit le projet susdit d'union(3) ; mais, finalement, il ne fit rien. Ensuite le pape Boniface en parla à plusieurs reprises ; cependant, tout considéré, il préféra abandonner entièrement l'affaire, comme vous pourrez l'apprendre de quelques-uns des cardinaux qui vivaient de son temps.
    2. — Erreur: saint Louis mourut le 25 août 1270 et le concile général de Lyon se tint du 7 mai au 17 juillet 1274.
    3. — Rapport sur la suite de la consultation de Nicolas IV, faite après la perte de Saint-Jean-d'Acre, sur l'aide à de à donner à la Terre Sainte, le concile de Salzbourg (1291) demanda la réunion des Templiers, des Hospitaliers et des Teutoniques ; mais les envoyés du concile n'arrivèrent a Rome qu'après la mort du pape (4 avril 1292).


    Item, Saint-Père, relativement a l'union des ordres, il faut considérer les commodités et les inconvénients, l'honneur et les scandales qui peuvent en résulter. Il me semble, en premier lieu, qu'il ne serait pas honorable d'unir maintenant des ordres si anciens et qui, soit en Terre Sainte, soit ailleurs, ont fait tant de bien, parce qu il est à craindre que le contraire de ce qu'ils ont fait jusqu'à présent n'arrive, car on n'innove jamais, ou du moins rarement, sans provoquer de grands périls.

    Item par dessus tout, il faut redouter le péril des âmes. Et je dis cela parce que c'est agir d'une manière très hostile et très dure que de forcer un homme qui, spontanément, s'est voué à l'habit et à la profession de foi d'un ordre, à changer sa vie et ses mœurs ou à choisir un autre ordre s'il ne le veut pas.

    Item, si l'on réunissait les ordres il y aurait un autre grave péril, à cause des divisions qui séparent les hommes et l'on pourrait craindre qu'à l'instigation du diable les membres des deux ordres ne se querellassent entre eux, disant: Nous, nous valions mieux et nous faisions plus de bien. Et beaucoup de périls pourraient provenir de cette dispute, parce que les Templiers et les Hospitaliers ont des armes. Et si la rumeur s'en répandait parmi eux, elle pourrait facilement susciter un grave scandale.

    Item, si l'on réunissait les ordres, il importerait fort que les Templiers donnassent beaucoup, ou bien que les Hospitaliers fussent soumis à des restrictions ; de là pourrait provenir un péril pour les âmes, parce qu'ils sont rares, à ce que je crois, ceux qui voudraient changer leur vie et leurs mœurs habituelles.

    Item, si l'on réunissait les ordres, les aumûnes et les bienfaits des deux ordres diminueraient considérablement. Car l'ordre des Hospitaliers est fondé sur l'hospitalité, mais, de plus, ses membres sont soldats et font beaucoup d'aumûnes. Celui des Templiers est particulièrement fondé sur le service militaire, mais ses membres, dans tous leurs bailliages, trois fois par semaine, font, à tous ceux qui en veulent, une aumûne générale et ils donnent, d'une manière continue, aux pauvres le dixième de tout leur pain.

    Item, ils donnent dans leur couvent pour deux frères assez de viande pour qu'on puisse, de ce qui reste, rassasier deux pauvres. D'où il suit que, si les ordres étaient réunis, ils ne feraient pas, ensemble, plus qu'un seul ne fait à présent. Et je puis dire la même chose du service de Dieu et des officiers divins.

    Item, dans les villes et autres lieux où lesdits ordres ont plusieurs maisons, si l'on faisait la réunion, une des maisons serait désaffectée, l'autre subsisterait et chacun voudrait que celle-ci fût la sienne, ce qui souvent pourrait faire naître des disputes. Et là où les deux ordres ont plusieurs précepteurs il faudrait qu'il n'y en eût plus qu'un et que les autres lui fussent soumis. De là, parce qu'ils seraient mécontents, la discorde pourrait naître facilement.

    Item, le couvent de l'Hûpital a un maréchal, un commandeur, (4) ; et il en est de même dans celui du Temple. Il en pourrait résulter de grandes rivalités et des conflits parce que chacun des deux voudrait maintenir ses officiers en fonction.
    4. — Officier chargé de tout ce qui concerne l'habillement des membres de l'ordre.

    Item, si quelqu'un voulait objecter que, pour éteindre la rivalité qu'on dit exister entre les Templiers et les Hospitaliers, il faudrait en faire la réunion, je réponds que ce serait causer le plus grand dommage à la Terre Sainte que de supprimer cette rivalité et qu'il en résulterait un grand avantage pour les Sarrasins. Car elle a toujours procuré honneur et commodité aux Chrétiens et tout le contraire aux Sarrasins, parce que, quand les Hospitaliers faisaient une expédition armée contre le Sarrasins, les Templiers n'avaient de repos qu'ils n'en eussent fait autant ou plus et réciproquement.

    Item, quand les Templiers faisaient outre-mer un grand transport de frères, de chevaux et autres bêtes, les Hospitaliers n'avaient de repos qu'ils n'en eussent fait autant ou plus. Et cette rivalité qui a toujours existé et qui existe encore entre eux fut de tout temps et est encore non moins honorable et profitable aux Chrétiens que dommageable aux Sarrasins.

    Item, quand l'un des ordres eut de bons chevaliers et des hommes renommés pour leurs faits d'armes et pour d'autres bonnes actions, l'autre s'est toujours appliqué, et de tout son pouvoir, à en avoir de meilleurs. Et, par suite de cette rivalité, chacun des deux ordres fit, sans interruption, des dépenses telles que tous deux furent toujours grevés du poids des plus lourdes dettes. D'où il suit, à ce que je crois, que si les deux ordres n'en eussent fait qu'un, ils ne se seraient pas donné tant de peine à ce sujet.

    Item, par suite de la rivalité et de l'opposition qui ont existé entre eux, ils n'ont jamais cessé de faire contre les Sarrasins des chevauchées ou quelque entreprise à main armée ; bien mieux, à cause de cette rivalité, ils les faisaient plus importantes et meilleures. En outre, on n'a jamais entendu dire que, pour quelque cause que ce soit, l'un d'eux ait porté la main violemment sur un autre.

    Item, un exemple de ce qui précède apparaît chez les frères Prêcheurs et les frères Mineurs qui ont des clercs bien meilleurs et de plus grand renom que si leurs deux ordres étaient réunis en un seul, parce que les deux ordres s'efforcent l'un et l'autre d'avoir les hommes les plus excellents et excitent davantage les leurs tant à la célébration de l'office divin qu'au sermon et à la prédication de la parole de Dieu, de sorte que tout rejaillira à l'honneur et pour l'avantage du peuple chrétien.

    Item, quand des rois, des ducs, des comtes et même d'autres barons, des gens du peuple, des pèlerins, quels qu'ils soient, vont en Terre Sainte et chevauchent à main armée contre les Sarrasins, il est toujours d'usage chez eux qu'un des deux ordres marche en avant et fasse la garde qui est appelée « avant-garde », tandis que l'autre fait la garde qui est dite « arrière-garde », couvrant et enveloppant les étrangers qui sont entre eux comme une mère fait de son enfant. Et il est bon qu'il en soit ainsi parce qu'ils connaissent les habitudes des Sarrasins et que les Sarrasins les connaissent ; et quiconque a fait une chevauchée sans eux a eu lieu de le regretter (5), ainsi que je le rapporterai à Votre Sainteté quand il lui aura plu de l'entendre. Or, si les deux ordres étaient réunis, il en faudrait d'autres pour faire soit l'avant-garde, soit l'arrière-garde.
    5. — Jacques de Molay fait probablement allusion à la défaite de Mansourah due à la témérité du comte d'Artois qui refusa de laisser les Templiers passer devant ses soldats. Voir le récit de Joinville.

    Item, les pèlerins du Seigneur, quels qu'ils soient, grands ou petits, qui vinrent en Terre Sainte trouvèrent toujours rafraîchissement, réconfort, aide et secours auprès d'un des deux ordres. Et s'il n'y en avait eu qu'un, peut-être n'auraient-ils pas trouvé un si grand réconfort et un secours aussi complet. Et je le dis aussi pour les plus modestes sergents, qui toujours ont trouvé bon refuge chez l'un ou l'autre des deux ordres. Cependant, les commodités elles avantages que je reconnais à l'union sont les suivants: II est notoire que toutes les nations eurent autrefois accoutumé d'avoir une grande dévotion à l'égard des religieux ; ce qui paraît être complètement changé parce que l'on trouve plus de gens disposés à prendre qu'à donner aux religieux et que presque tout le monde reçoit d'eux des dons plus volontiers qu'il ne leur en fait ; de nombreux dommages leur sont causés, d'une manière continue, tant par des prélats que par d'autres hommes puissants ou non, clercs ou laïcs. Or, si l'union est faite, l'ordre sera si fort et si puissant qu'il défendra et pourra défendre ses droits contre n'importe qui.

    Item, je connais un autre avantage: c'est qu'ils feraient de moindres dépenses. Car où l'on tient deux hospices, on n'en tiendrait plus qu'un seul ; où il y a deux précepteurs ou bien deux baillis, il n'y en aurait plus qu'un, soit dans le couvent d'outre-mer, soit dans les provinces et dans les maisons d'Europe ; et ce serait un très grand allégement de dépenses.

    Dans tout ce qui précède, Saint-Père, sont exposes les avantages et les inconvénients, l'honneur et le déshonneur ou les périls que j'aperçois et que je reconnais dans ladite union.

    D'ailleurs, chaque fois qu'il vous plaira d'entendre conseil de notre couvent et des hommes probes de notre ordre établis en deçà des mers, dans les provinces et les bailliages, je les ferai réunir les uns aux autres, même, si vous le voulez, en votre présence. Et alors vous pourrez entendre le conseil et la volonté de nûtre (6) et des desdits frères et ensuite agir, relativement à ce qui précède, comme il paraîtra le meilleur et le plus utile a Votre Sainteté.
    6. — Le mot « couvent » désigne ici le chapitre ordinaire qui assiste le grand maître.

    En outre Saint-Père, on vous a raconte, m'a-t-on dit, que les religieux, qui sont soumis à l'obéissance sont plus aptes et plus utiles à la reconquête et a la garde de la Terre Sainte que d'autres gens. Cela, certes, est vrai, parce qu'ils font de moindres dépenses et que dans les maisons, dans les camps et au combat, ils sont plus obéissants. Mais, si vous avez l'intention d'assigner des revenus fixes, annuels et perpétuels pour entretenir autant de chevaliers et d'écuyers qu'on jugera pouvoir le faire, j'estime qu'il vaudrait mieux les assigner séparément à chacun des deux ordres, c'est-à-dire au Temple et à l'Hûpital, que de les unir, parce que tout le monde s'efforce d'obtenir son dû au delà même de son pouvoir.

    Le roi Philippe le Bel

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